Evolution de la communication phéromonale chez les papillons du genre Spodoptera – PRISM

Le système de communication phéromonale des papillons de nuit est un modèle particulièrement pertinent pour étudier les mécanismes responsables de l'évolution de l'isolement reproducteur. Chez ces animaux nocturnes, la reconnaissance du partenaire repose principalement sur des bouquets spécifiques de molécules volatiles appelées phéromones. Ces composés chimiques sont synthétisées dans la glande phéromonale des femelles, grâce une large gamme d'enzymes dites de biosynthèse des phéromones. Chez les mâles, les antennes portent généralement des milliers de neurones sensoriels qui détectent les différents composés du mélange phéromonal avec une spécificité et une sensibilité très élevées, ce qui évite les croisements interspécifiques et maintient l’isolement reproducteur. Cette détection a lieu au niveau de protéines membranaires de la famille des récepteurs olfactifs, appelés récepteurs phéromonaux. Étant donné que le système de communication phéromonale est par définition extrêmement spécifique et sous forte pression de sélection stabilisatrice, comprendre comment des modifications de ce système peuvent survenir, être sélectionnées et éventuellement participer à l’isolement reproducteur reste un dilemme. Quels mécanismes sont à l’origine de changements concomitants dans le signal émis par la femelle et dans les préférences des mâles, alors même que la moindre modification est censée être contre-sélectionnée ? Pour répondre de façon complète à cette question, il est important d’étudier à la fois l’évolution des familles multigéniques impliquées dans la biosynthèse et dans la détection des phéromones.

C’est ce que nous proposons ici, en prenant comme modèle des ravageurs de culture du genre Spodoptera. Chez les deux espèces sœurs S. littoralis et S. litura, qui vivent en parapatrie, les femelles synthétisent une molécule inhabituelle qui est le composé majoritaire du mélange phéromonal et est absent chez les autres espèces de Spodoptera, dont certaines vivent en sympatrie avec S. littoralis et S. litura. Chez S. littoralis, cette molécule est synthétisée grâce à l’action de deux désaturases déjà identifiées, qui introduisent deux doubles liaisons à des positions précises. Fait intéressant, nous avons récemment découvert chez les mâles de S. littoralis le récepteur qui détecte de manière spécifique ce composé majoritaire, mais il ne s’agit pas d’un récepteur phéromonal « classique » puisqu’il appartient à une autre lignée de récepteurs olfactifs. En partant de ces résultats, nous souhaitons reconstruire l’histoire évolutive de ces récepteurs et celle des désaturases au sein du genre Spodoptera, afin de mettre en évidence les événements ayant permis l’émergence d’un système de communication phéromonale original chez l'ancêtre commun de S. littoralis et S. litura, et vraisemblablement impliqué dans l’isolement reproducteur entre populations sympatriques.

Grâce à des données génomiques déjà disponibles, nous identifierons les répertoires complets de ces gènes chez quatre espèces de Spodoptera et nous étudierons l’évolution de leurs séquences codantes, de leurs séquences régulatrices, de leurs patrons d’expression et de leurs fonctions par expression hétérologue de gènes candidats pertinents. En plus des connaissances fondamentales en évolution, l’étude détaillée d’une nouvelle lignée de récepteurs phéromonaux chez des papillons ravageurs ouvre des perspectives quant au développement de stratégies de bio-contrôle basées sur l’utilisation d’agonistes ou d’antagonistes de ces récepteurs.