L’objectif était d'apporter un nouvel éclairage sur la modulation sociale de l’espace proche du corps, en explorant ses déterminants comportementaux et ses marqueurs neuronaux. Dans notre monde social, une zone de confort est nécessaire pour réguler la distance entre soi et les autres et éviter l'inconfort. Notre hypothèse était que l’espace de communication et d’interaction avec les informations sociales proche du corps reflètent une intégration de nos objectifs et de notre état interne.
Même si nous percevons l'espace qui nous entoure comme un continuum, la région près du corps où se déroulent les interactions physiques avec l'environnement est une région spéciale, appelée espace péripersonnel (EPP). Cet espace ne fait pas référence à une région bien délimitée avec des frontières claires mais est au contraire flexible, nous permettant d'adapter notre comportement en fonction du contexte. En particulier, dans notre monde social, une zone de confort est nécessaire pour réguler la distance entre soi et les autres et éviter l'inconfort, voire l'anxiété. La représentation de l’espace proche du corps est affectée dans de nombreux troubles psychiatriques comme le trouble de stress post-traumatique (TSPT) ou le trouble du spectre de l’autisme (TSA). Les patients souffrant de TSPT présenteraient un volume réduit d’une région clé de l’EPP, le cortex prémoteur ventral et de l’amygdale, une structure clé des émotions. Il a été suggéré que la ‘construction’ d’une marge de sécurité autour de leur corps serait compromise chez ces patients. Les données de la littérature soulignent le rôle déterminant de la représentation de l’espace qui nous entoure dans les interactions quotidiennes que nous entretenons avec notre environnement, social et non social. Notre postulat est que la définition de l’espace de communication et d’interaction avec les éléments de notre environnement reflètent une intégration de nos objectifs en fonction du contexte et de notre état interne. Les quelques preuves disponibles dans la littérature suggèrent en effet qu'il existe un lien entre l’état interne et la représentation de l’espace proche du corps. Cependant, on ne sait pas comment ces signaux internes modulent la représentation de l’espace proche du corps et comment ces signaux sont intégrés au niveau du cerveau. MySpace visait à comprendre plus particulièrement ces modulations dans un contexte social en utilisant une approche ambitieuse et novatrice, dans la mesure où il combine d’une part neuroimagerie et réalité virtuelle, et d’autre part une approche comparative homme-singe, deux approches pionnières dans le domaine.
Notre premier objectif visait à comprendre comment les émotions véhiculées par les visages dans l’espace proche du corps affectent nos capacités de perception, notre état physiologique et notre activité cérébrale. Nous avons donc combiné l’analyse du comportement, la physiologie et la neuroimagerie (Imagerie par Résonnance Magnétique fonctionnelle - IRMf) pour caractériser l’impact d’un élément social, en faisant varier son contenu émotionnel (un visage neutre, joyeux ou en colère), sa position dans l’espace qui nous entoure (proche ou loin) sur la représentation de l’EPP. Ensuite, la notion d’espace péripersonnel ayant initialement été définie sur la base des propriétés de neurones enregistrés chez le singe, notre deuxième objectif visait à combler le fossé entre ces données et les activités cérébrales identifiées en neuroimagerie chez l’humain, un lien qui est loin d’être élucidé à ce jour. Ce projet présentait deux défis méthodologiques importants : 1) le développement de protocoles exploitant la réalité virtuelle afin de contrôler de manière précise des informations visuelles à différentes distances de notre corps et 2) le développement de protocoles similaires applicables à l’humain et au singe. Ces développements ont permis de lever un verrou technologique en mesurant l’activité cérébrale en présence d’avatars qui se rapprochent physiquement – et virtuellement - des participants dont on mesurait la manière de percevoir ces informations et leur réponses corporelles. Enfin, afin d’établir des relations causales entre structure et fonction, nous avons testé la représentation de l’espace proche du corps chez des patients avec des lésions sélectives tout en enregistrant leur état interne.
Avec MySpace, nous avons conduit des études chez l’homme et le singe en IRMf nous permettant de concilier les deux sources de connaissances de la représentation de l’EPP sur le cerveau des primates. Cet objectif critique nous permet de relier les propriétés neuronales aux activations enregistrées en IRMf, un lien qui est loin d’être élucidé à ce jour. Nous avons également comparé nos résultats en situation réelle versus virtuelle, cette dernière étant de plus en plus employée dans un but théorique ou thérapeutique dans la recherche biomédicale. Les résultats de ces deux études montrent des activations relativement similaires impliquées dans le traitement des stimuli dans l’EPP, que ce soit avec un objet réel à 2 cm du visage ou un objet virtuel à 30 cm du corps. Chez l’humain, nos résultats démontrent également que l'espace proche est, en soi, spécial et bénéficie d'un traitement perceptuel amélioré, même dans des conditions extrêmement désavantageuses, pour nous permettre d’interagir rapidement et de manière flexible avec notre environnement, et d’optimiser les réponses comportementales à la fois vers les objets et les autres individus autour de nous éviter des menaces potentielles. En particulier, face aux stimuli sociaux dans l’espace proche comme les visages, nos résultats mettent en lumière les interactions subtiles entre les caractéristiques de ces facteurs sociaux (comme par exemple leur sexe et leur état émotionnel), nos caractéristiques propres (notre sexe et nos traits de personnalités) et nos réactions physiologiques (reflétant notre état interne mesuré via le diamètre pupillaire, la fréquence cardiaque et variabilité de la fréquence cardiaque ou l’activité des muscles du visage). Ces résultats nous ont conduit à proposer un rôle de l’EPP dans les interactions sociales et la notion de distance interpersonnelle, au-delà des fonctions sensorimotrices qui lui sont habituellement attribuées. Cette idée rejoint les conceptions de l’EPP en lien avec la conscience de soi, en mettant l’accent sur la participation des signaux intéroceptifs et de nos caractéristiques propres dans la perception de l'environnement des stimuli présentés proche du corps. Nous avons exploré cette hypothèse chez des patients présentant des lésions du lobe temporal suite à la résection chirurgicale d’un gliome. Ainsi, les résultats et développements de MySpace ouvrent la voie à de nouvelles perspectives très intéressantes sur les fonctions de l’EPP et son rôle potentiel dans les interactions sociales.
L’ensemble de ce travail, à l’interface entre neurosciences et psychologie sociale, a apporté un nouvel éclairage sur la manière dont les informations sociales proche de notre corps affectent nos comportements au quotidien en façonnant notre perception du monde et les interactions avec nos pairs. Les approches en réalité virtuelle immersive développées dans le cadre du projet MySpace ont permis de lever un verrou technologique en mesurant l’activité cérébrale avec des informations visuelles qui se rapprochent physiquement – et virtuellement - des participants. Le bénéfice de la levée de ces verrous représente un atout majeur de ce projet. La question de recherche au cœur du projet MySpace porte sur la dimension sociale de l'espace péripersonnel (l'espace autour du corps), une question qui résonne fortement avec la notion de distanciation sociale dont il est question avec la COVID-19. Ces données nous permettent de mieux comprendre comment le cerveau permet les ajustements de distance dans les interactions sociales. Comprendre comment les informations sociales modulent cet espace pourrait ouvrir la voie à de nouvelles stratégies pour les atténuer et le recours à la réalité virtuelle pourrait représenter une piste prometteuse. Une des pistes qui découle de MySpace et que nous explorons actuellement est la possibilité d’entrainer des participants à reproduire des émotions faciales et de tester l’impact de cet entrainement sur la distance interpersonnelle, une piste qui pourrait potentiellement se révéler intéressante pour aider certaines populations de patients à renouer un dialogue social avec leur pair. Nos résultats préliminaires montrent qu’après entrainement avec des expressions faciales, les distances interpersonnelles sont significativement modifiées. Enfin, la possibilité de suivre l’activité du cerveau de participants dans un environnement de réalité virtuelle où évolue des avatars est particulièrement pertinent face à l'émergence récente de la technologie du métaverse, ces univers parallèles virtuels en cours de développement.
A la clôture du projet MySpace fin septembre 2021, trois articles ont été publiés ainsi qu’un chapitre de livre. Un article est en révision et cinq autres sont en préparation. Une thèse de doctorat intitulé « Dimension sociale de l’Espace Péri-personnel des primates » a été soutenue à l’Université Claude Bernard Lyon 1 (Spécialité Neurosciences) dans le cadre du projet. Deux nouvelles collaborations ont été développées, une avec un laboratoire de recherche en Italie et une avec une entreprise privée, spécialisée dans la production de film d’animation basée à Lyon.
Dans le cadre du projet, de nombreux développement en réalité virtuelle ont vu le jour pour étudier la question de l’espace autour du corps. Ces développements offrent des perspectives intéressantes actuellement testées chez des patients.
Dans la vie quotidienne, les humains et les animaux évoluent dans un environnement composé de différents types d'objets avec lesquels ils interagissent. L’interaction avec ces objets dépend d’une optimisation efficace de la distance entre le corps et l'objet et la représentation de l’objet dans l'espace. Même si nous percevons l'espace qui nous entoure comme un continuum cartésien, la région de l'espace près du corps où les interactions physiques avec les objets de l’environnement ont lieu est une région spéciale, appelée espace péripersonnel (‘PpS’). Mais, notre monde n’est pas seulement fait d'objets. Ainsi, le monde des hommes et des animaux est d'abord et avant tout un ‘monde social’, où une zone aux frontières invisibles régie nos interactions avec les autres et dans laquelle les intrusions engendrent de l'inconfort ou même de l’anxiété. MySpace va explorer les déterminants comportementaux et les marqueurs neuronaux de cette dimension sociale, cruciale mais négligée, du ‘PpS’. Les résultats pourraient bénéficier aux nombreux patients dont la représentation du ‘PpS’ est altérée par des troubles psychiatriques tels le stress post-traumatique, l’autisme, les phobies, ou le retrait social extrême connu sous le nom d’hikikomori. La taille de la zone de confort du ‘PpS’ offre une mesure concrète des dysfonctions sociales dans ces pathologies. Comprendre comment la dimension sociale du ‘PpS’ est codée par le cerveau peut ouvrir la voie à de nouvelles stratégies pour les atténuer.
Madame Fadila Hadj-Bouziane (INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE ET DE LA RECHERCHE MEDICALE)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
INSERM INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE ET DE LA RECHERCHE MEDICALE
Aide de l'ANR 367 000 euros
Début et durée du projet scientifique :
septembre 2015
- 48 Mois