Archéologie différentielle du signe linguistique
Un complexe de questions dont on peut retracer l’origine dans un certain nombre de textes où Aristote s’interroge sur ce qu’est le langage et à quoi il sert, oriente encore aujourd’hui les enjeux fondamentaux de la réflexion sur les signes linguistiques langage. Au fil de débats au très long cours, l’étude des signes linguistiques s’est déclinée en une variété de manières de comprendre ce que, pour une expression donnée, « signifier » veut dire. Pour peu que l’on aborde philosophiquement cette diversité, une prise en charge des résultats, même les plus récents, en linguistique, en sciences cognitives ou encore en sciences de l’information, tout indispensable qu’elle soit par ailleurs, n’est pas suffisante. Ce qu’il faut c’est avant tout un paradigme permettant de répertorier, classer et analyser les modèles théoriques mis en place au cours de l’histoire pour rendre compte du phénomène complexe de la signification comme propriété des expressions linguistiques, corrélat d’un contenu de pensée ou encore en tant que produit d’une pratique de communication. Le programme de recherche SÊMAINÔ se propose de développer un tel outil méthodologique par une analyse comparative de la matière historique à travers un parcours indexé sur ses étapes les plus marquantes. Utilisé comme un “filtre heuristique”, cet outil contribuera à la découverte et à l’évaluation des analogies et des différences entre les auteurs et les doctrines à l’étude. Un regard synoptique sur leurs éléments et leurs solutions de continuité permettra non seulement d’identifier des structures récurrentes mais aussi de mieux apprécier leurs marges de développement au sein du débat contemporain.
Comme son intitulé l’indique, le Projet SEMAINO est une entreprise archéologique et comparative. Son principal objectif est de répertorier, classer et analyser les modèles théoriques mis en place au cours de l’histoire pour rendre compte du phénomène complexe de la signification comme propriété des signes linguistiques, corrélat d’un contenu de pensée ou encore en tant que produit des pratiques de communication. Cette approche différentielle est susceptible de se décliner de deux manières qui ne sont pas antagonistes mais dont la mise en œuvre diffère sensiblement. Dans un cas, il s’agit de discuter dans un premier temps une par une et pour elles-mêmes les principales doctrines linguistiques de l’Antiquité à nos jours afin de restituer la figure singulière de chacune. Il s’agit ensuite de confronter les différentes manières de concevoir les signes linguistiques pour obtenir une cartographie, en relief, des éléments que chaque théorie met explicitement en avant et, en creux, de ceux qu’elle relègue plutôt à l’arrière-plan. Dans l’autre cas, il s’agit plutôt de privilégier des modèles – en l’occurrence, ceux qui, traditionnellement, ont été le plus influents – et de les utiliser ensuite comme filtres heuristiques pour dégager la commensurabilité, voire la parenté de tous les autres en procédant moins dans l’abstrait d’une comparaison systématique que dans le concret d’une intrigue déterminée. Dans un souci d’adhérer au devenir effectif de la matière historique, c’est la deuxième alternative que SEMAINO a privilégiée et c’est chez Aristote, Roger Bacon et Edmund Husserl qu’il a cherché et trouvé les paradigmes qui orientent et définissent encore aujourd’hui les enjeux fondamentaux de la philosophie du langage, que ce soit dans le domaine de l’élucidation du sens des expressions linguistiques ou dans celui de la prise en compte des conditions concrètes de leur utilisation. Après avoir étudié pour lui-même chaque paradigme, on a entamé sa comparaison avec les autres.
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES. Le 15 et 16 juin 2016, deux mois à peine après le démarrage du Projet, le WORKSHOP INTERNATIONAL « SEMAINO A» (https://semaino.hypotheses.org/179) réunissait à Lille dix spécialistes autour du thème : Aristote et le langage. Au cours de l’année 2016-2017, un SÉMINAIRE, « La philosophie du langage d’Aristote » (https://semaino.hypotheses.org/71), a achevé l’étude des faits de langage dans le corpus aristotélicien. Le COLLOQUE INTERNATIONAL « SEMAINO B: Théories anciennes de la signification » (Lille, les 5, 6, 7 et 8 décembre 2016 semaino.hypotheses.org/142), a constitué le point d’orgue de cette première période d’activité, en renforçant ultérieurement le noyau aristotélicien et en l’inscrivant dans la perspective des théories linguistiques de l’Antiquité aussi bien classique que tardive, tout comme l’a fait pour le Haut Moyen Age le WORKSHOP INTERNATIONAL « Après les Anciens : figures du signe, de la parole, du discours dans la tradition tardo-ancienne et médiévale ». Lille, 1 juin 2017 (https://semaino.hypotheses.org/256).
PRODUCTION SCIENTIFIQUE. A l’actif du bilan du Projet on inscrira notamment le tournant micrologique caractérisant le travail de fonds que SEMAINO a engagé en vue de restituer l’essentiel de la réflexion d’Aristote sur les signes linguistiques. Parti du constat inédit que, tout nombreuses et tout influentes qu’elles soient par ailleurs (et elles sont l’un et l’autre), les indications d’Aristote concernant le langage se caractérisent à la fois par leur dispersion et par leur caractère marginal, SEMAINO a mis en œuvre une stratégie très cohérente notamment au niveau des publications : on signalera en particulier le collectif – dont la sortie est d’ores et déjà programmée à l’horizon 2020 dans la collection « Aristote. Traductions et Etudes » chez Peeters – qui réunira un corpus de lecture de textes aristotéliciens sur le langage, précédés d’une introduction générale signée par le coordinateur du Projet.
Une fois développé les volets Ancien et Médiéval, « SEMAINO » se poursuivra avec le dernier des trois volets annoncés dans le programme du Projet. Il gravitera notamment autour de la réflexion sémiotique d’Edmund Husserl. Comme dans les cas d’Aristote et de Bacon, la réflexion sur les signes de Husserl n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique et approfondie visant à l’exhaustivité. Tout comme Aristote à Lille (https://semaino.hypotheses.org/71) et Roger Bacon à Genève (https://semaino.hypotheses.org/253), Husserl aussi fera l’objet d’un séminaire de recherche : « Depuis les Modernes. Ontologies et phénoménologies des signes » (https://semaino.hypotheses.org/375) et d’un colloque international (« SEMAINO G : Phénoménologies des signes : paroles, symboles et indices — autour de Husserl et au-delà ». Lille, le 3 et 4 décembre 2018). La production scientifique du Projet s’enrichira notamment d’un collectif en anglais « Phénoménologies des signes : paroles, symboles et indices – autour de Husserl et au-delà », Studia Philosophica, 80, 2021 (à paraître).
L. Gazziero, « Présuppositions linguistiques et enjeux philosophiques des paralogismes liés à la forme de l’expression dans les Réfutations sophistiques d’Aristote », dans B. Wendling-Godard et L. Raïd (éd.), A la recherche de la presupposition, Londres, ISTE editions, 2016, p. 25-46 (https://iste-editions.fr/products/a-la-recherche-de-la-presupposition).
L. Gazziero, « “Vertendo vel etiam commentando in Latinam redigam formam” (In Aristotelis peri hermeneias commentarium. Editio secunda, II, 79.23 - 80.1). Boèce ou l’art de bien traduire (en commentant) et de bien commenter (en traduisant) », Rursus, 10, 2017, p. 1-118 (https://rursus.revues.org/1295).
C. Majolino, « Réflexions sur le problème “philosophique” des impersonnels (à partir de Über subjektlose Sätze de Marty, mais aussi au-delà). Première partie : des dogmes et des effets », Cahiers de l’Institut de Linguistique et Sciences du Langage de l’Université de Lausanne (I.L.S.L.), 52, 2018 (sous presse).
L. Cesalli, J. Friedrich et C. Majolino, « Parole efficace et action langagière. Les actes de parole dans la tradition austro-allemande », dans B. Ambroise (éd.), De l'action au speech act. Le concept d'acte de parole au prisme de ses histoires, Londres, ISTE Editions (sous presse).
« Pourquoi y a-t-il des signes linguistiques ? »
« Qu’est-ce qu’un signe linguistique et en quoi consiste sa signification ? »
« Quels sont les effets qu’il produit et quelles sont les contraintes que l’on doit respecter et les précautions qu’il convient de prendre lorsqu’on s’en sert ? »
Ce complexe de questions, dont on peut retracer l’origine dans un certain nombre de textes de Platon et d’Aristote, oriente encore aujourd’hui les enjeux fondamentaux de la philosophie du langage, à savoir l’élucidation du sens des expressions linguistiques ainsi que des conditions concrètes de leur utilisation. Au fil des débats logiques, grammaticaux, théologiques ou encore rhétoriques et littéraires, cette philosophie du langage s’est déclinée en une variété de manières de comprendre ce que, pour une expression linguistique donnée, « signifier » veut dire. Pour peu que l’on aborde philosophiquement cette diversité, une prise en charge des résultats, même les plus récents, en linguistique, en sciences cognitives ou encore en sciences de l’information, tout indispensable qu’elle soit par ailleurs, n’est pas suffisante. Ce qu’il faut c’est avant tout un paradigme conceptuel diachronique permettant de répertorier, classer et analyser les modèles théoriques mis en place au cours de l’histoire pour rendre compte du phénomène complexe de la signification comme propriété des expressions linguistiques, corrélat d’un contenu de pensée ou encore en tant que produit d’une pratique de communication.
Le programme de recherche SÊMAINÔ se propose de développer un tel outil méthodologique par une analyse comparative de la matière historique à travers un parcours indexé sur ses étapes les plus marquantes. Utilisé comme un “filtre heuristique”, cet outil contribuera à la découverte et à l’évaluation des analogies et des différences entre les auteurs et les doctrines à l’étude. Un regard synoptique sur leurs éléments et leurs solutions de continuité permettra non seulement d’identifier des structures récurrentes mais aussi de mieux apprécier leurs marges de développement au sein du débat contemporain.
Monsieur Leone GAZZIERO (UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » (STL), Université de Lille 3)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
UMR 8163 "STL" UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » (STL), Université de Lille 3
UNIGE Département de Philosophie, Université de Geneve
Aide de l'ANR 200 000 euros
Début et durée du projet scientifique :
mars 2016
- 36 Mois