Traceurs Innovants du Cycle Cenozoïque de Carbone – INTOCC
Des traceurs innovants pour reconstituer les paléo-variations du cycle du carbone lors de l'Ere Cénozoïque
L'apport de CO2 par les dorsales océaniques, et sa consommation lors des orogenèses modifient son niveau dans l'atmosphère et influencent ainsi le climat global. Les compositions isotopiques des sédiments marins permettent de quantifier ces processus. Cependant l'interprétation des traceurs traditionnels 87Sr et 187Os est ambiguë. Ce projet vise donc à développer de nouveaux traceurs (186Os, 40Ca et d7Li), et à incorporer les résultats dans un modèle global du cycle de carbone depuis 65 Ma.
Quantifier les variations passées des processus géodynamiques qui ont contrôlé la teneur en CO2 de l'atmosphère et la température à la surface de la Terre
A l'échelle de millions d'années, les processus géodynamiques et la température de la Terre sont reliés, en particulier via le contrôle du CO2 dans le système océan-atmosphère. Cependant, l'importance relative des processus en jeu reste extrêmement débattue. Certains auteurs soulignent le rôle majeur des processus hydrothermaux aux rides médio-océaniques, tandis que d'autres mettent l'emphase sur celui des processus orogéniques en tant que catalyseur de l'altération des roches continentales ou d'enfouissement de carbone organique, deux puits majeurs de CO2. Ces interactions peuvent être explorées via l'étude des enregistrements sédimentaires marins. Les deux traceurs isotopiques les plus utilisés, les isotopes radiogéniques 87Sr et 187Os, indiquent tous les deux, au cours du Cénozoïque, une augmentation de la signature isotopique de l'eau de mer vers celle de la croûte continentale. Cependant, cette évolution peut être interprétée soit par une nette augmentation de l'altération des silicates continentaux due à l'orogenèse, soit par une contribution accrue de lithologies mineures mais extrêmement radiogéniques en 87Sr et 187Os, sans effet sur le climat.<br /> Les éternels débats à ce sujet s’expliquent par la difficulté de déconvoluer les effets dits de «sources« (causés par l'altération de lithologies d'âges et de signatures isotopiques différentes), des effets dits de «flux« (liés aux variations des taux d'altération des continents). Des considérations semblables existent pour le flux hydrothermal à cause de l'altération des différentes lithologies de la lithosphère océanique à basse et haute températures. Pour résoudre ce problème majeur, nous proposons de développer et de combiner trois traceurs jusque-là encore peu explorés: 186Os et 40Ca, tous les deux radiogéniques et très enrichis dans les roches continentales typiques, et d7Li, un traceur non radiogénique ayant montré tout son potentiel en tant que proxy des processus d’altération.<br />
Ce projet s'articule en 5 phases: 1) des développements analytiques novateurs, en particulier pour obtenir des mesures fines en 186Os/188Os dans des sédiments. Pour ce faire trois amplificateurs de nouvelle génération, équipés de résistances de 10E13 ohms, ont été installés sur le spectromètre de masse à thermo-ionisation du CRPG. 2) L'estimation de l'évolution en 186Os/188Os, e40Ca et d7Li de l'océan au cours du Cénozoïque. Un effort particulier est centré sur l'obtention d'un enregistrement de d7Li exempt d’effets vitaux. Ceci sera accompli grâce à l'analyse d'échantillons de smectites authigènes marines. Ce type d'échantillon a déjà démontré sa fiabilité pour la reconstruction de la courbe isotopique du Li de l'eau de mer. 3) La détermination de la composition moyenne de la croûte continentale en 186Os/188Os et e40Ca via l'étude de loess. 4) L'étude d'un bassin versant majeur, le Ganges-Brahmapoutre, pour déterminer le rôle de la diversité lithologique et des processus de transport sur ce qui arrive a l’océan. 5) L'exploitation des résultats obtenus en vue d'affiner la modélisation du cycle du carbone au cours du Cénozoïque. Le modèle GEOCLIM privilégié pour cette étude se démarque d'autres modèles du système climatique terrestre par son emphase sur les processus géodynamiques à la surface de la Terre.
L'apport des mesures de haute précision des nouveaux systèmes isotopiques explorés dans ce projet, couplé à un modèle 3D du cycle du carbone, devrait conduire à une meilleure compréhension des différents processus géodynamiques qui ont régulé le climat de la Terre au cours des 60 derniers millions d'années.
1) Reconstruction d'une courbe exempt d'effets vitaux du d7Li océanique pour l'ère Cénozoïque. Le premier enregistrement isotopique complet de Li marin pour cette période [1], obtenu à partir de foraminifères planctoniques, a révélé une augmentation en d7Li de 7‰ depuis le Palaeocène. Si confirmée, cette augmentation pose une contrainte forte sur les processus d'altération continentale et de production de sols, composantes majeures du cycle de carbone. Cependant, des effets vitaux dans les sédiments biogéniques peuvent fausser l'enregistrement marin. Pour cette raison, l'une des premières tâches du projet INTOCC est de tester la validité de l'enregistrement obtenu à partir des foraminifère par l'analyse de sédiments non-biogéniques (argiles authigènes). A présent, des résultats couvrant la période de 0 à 30 Ma ont été obtenus pour deux forages IODP dans l'Océane Pacifique Equatoriale et dans l’Atlantique Sud.
2) Développement de l'analyse 186Os/188Os à haute précision pour des petites quantités d'Os. Trois amplificateurs équipés de résistances de 10E13 ohms ont été installés sur le spectromètre de mass Triton du CRPG. Ces amplificateurs augmentent le rapport signal/bruit par un ordre de grandeur, diminuant ainsi le signal, et donc la quantité d'échantillon, exigée pour une analyse précise. Nous testons actuellement les différents protocoles d'analyse (combinaisons d'amplificateurs 10E13 et 10E11; optimisation de la mesure du bruit de fond...) dans le but d'améliorer la précision et la reproductibilité des analyses 186Os d'échantillons pauvres en Os (<10ng ).
3) Le modèle couplé érosion-altération de Gabet et Mudd (2009) a été incorporé dans GEOCLIM, un modèle du Système Terre à longue échelle de temps. Nous pouvons simuler à la fois l'évolution de la teneur en CO2 de l'atmosphère, l'évolution du climat, et les flux globaux géochimiques les plus significatifs (comprenant l'altération et l'érosion physique).
Un résultat marquant a été la reconstruction de la courbe marine de d7Li à partir de smectites authigènes prélevés de deux forages IODP dans l'océan Pacifique équatorial. L'avantage d'utiliser ce type d'échantillon est qu'il exclut tout effet vital. Pour le moment, les compositions isotopiques en Li de 50 échantillons, variant en âge de 0 à 31 Ma (à l'exception de deux points à 40 et 50 Ma), ont été déterminées. La courbe de d7Li obtenue est en contraste saisissant avec celle dérivée des foraminifères planctoniques [1]. Jusqu'à ~ 10 Ma, les deux types d'échantillons présentent des valeurs de d7Li semblables aux foraminifères. Mais aux âges plus importants, les enregistrements divergent complètement. Etant donné le long temps de résidence du Li dans l'eau de mer, sa composition isotopique devrait être uniforme à travers l'océan, donc pour confirmer ces résultats, nous prévoyons d'analyser des argiles anciennes provenant de l’océan Atlantique.
Notre enregistrement nouveau de l'océan Pacifique suggère qu'au lieu d'augmenter fortement lors de l'Ere Cénozoïque, comme indiqué par les données des foraminifères planctoniques, la valeur d7Li de l'eau de mer ait, en réalité, diminué légèrement pendant cette période, au moins à partir de 50 Ma. Si confirmé par l'analyse de smectites d'autres bassins océaniques, ce résultat aurait des implications profondes pour notre compréhension de l'évolution des processus d'altération pendant cette période.
Revues à comité de lecture
1. Bastian, L., M. Revel, G. Bayon, A. Dufour, N. Vigier. (2017) Abrupt response of chemical weathering to Late Quaternary hydroclimate changes in northeast Africa. Scientific Reports 7:44231.
2. Godderis Y., Donnadieu Y.,Carretier S., Aretz M., Dera G.,Macouin M., Regard V. (2017) Onset and ending of the late Palaeozoic ice age triggered by tectonically paced rock weathering. Nature Geoscience, 10, 382-386.
3. Maffre P. Ladant J.-B., Donnadieu Y., Sepulchre P., Godderis Y. (2017) The influence of orography on modern ocean circulation. Climate Dynamics, doi 10.1007/s00382-017-3683-0
Communications (conférences)
1. Neimard, M., N. Vigier, AM. Karpoff, L. Reisberg (2017) Cenozoic d7Li variations of marine authigenic smectite. Goldschmidt 2017, Paris
2. Reisberg, L., C. Zimmermann, G. Caro (2017) Analysis of 186Os/188Os ratios by NTIMS using amplifiers equipped with 10x13 ohm resistors. Goldschmidt 2017, Paris.
A l'échelle de millions d'années, les processus géodynamiques et la température de la Terre sont reliés, en particulier via le contrôle du CO2 dans le système océan-atmosphère. Cependant, l'importance relative des processus en jeu reste extrêmement débattue. Certains auteurs soulignent le rôle majeur des processus hydrothermaux aux rides médio-océaniques, tandis que d'autres mettent l'emphase sur celui des processus orogéniques et leur rôle de catalyseur de l'altération des roches continentales ou d'enfouissement de carbone organique, deux puits majeurs de CO2. Ces interactions peuvent être explorées via l'étude des enregistrements sédimentaires marins. Les deux traceurs isotopiques les plus classiquement utilisés sont les isotopes radiogéniques 87Sr et 187Os, et ils indiquent tous les deux, au cours du Cénozoique, une augmentation de l'eau de mer vers une signature plus radiogénique proche de celle de la croûte continentale. Cette évolution ocanique fut interprétée par une nette augmentation de l'altétration des silicates continentaux due à l'orogénèse Himalayenne, ainsi représentée comme principale responsable du refroidissement global. Cependant, cette interprétation a été remise en question, avec en particulier, la contribution de lithologies mineures présentes en Himalaya, et extrêmement radiogéniques en 87Sr et 187Os. Ainsi, l'évolution positive observée dans les océans ne serait pas du à une augmentation de l'altération des silicates continentaux, mais seulement à une contribution plus importante de ces roches particulières.
Ces considérations illustrent bien la difficulté de déconvoluer les effets dits de "sources" (causés par l'altération de lithologies d'âges et de signatures isotopiques différents), des effets dits de "flux" (liés aux variations des taux d'altération des roches). En conséquence, il est nécessaire d'associer aux traceurs de sources (isotopes radiogéniques), des traceurs pertinents des processus d'altération, de façon à pouvoir quantifier plus précisément les rôles relatifs de chacun et leurs paléovariations. Nous proposons donc de développer et de combiner 3 traceurs jusque là encore peu explorés: 186Os et 40Ca, tous les deux radiogéniques, et d7Li, un traceur non radiogénique ayant montré tout son potentiel en tant que proxy de l'altération des roches silicatées continentales. Les nouveaux traceurs que nous proposons de développer sont très prometteurs car ils sont moins sensibles à l'érosion de roches mineures en Himalaya. Les données préliminaires suggèrent que l'océan reste proche de la composition mantellique en 186Os et en 40Ca pendant la dernière partie du Cénozoique, ce qui est à l'opposé des résultats des traceurs 187Os et 87Sr pendant cette période.
Ce projet s'articule en 5 phases: 1/ des développements analytiques novateurs, en particulier pour obtenir des mesures fines en 186Os/188Os dans des sédiments 2/ l'estimation de l'évolution en 186Os/188Os, e40Ca et d7Li de l'océan au cours du Cénozoique 3/ la détermination de la composition moyenne de la croûte continentale en 186Os/188Os et e40Ca via l'étude de loess 4/ L'étude d'un bassin versant majeur, le Ganges-Brahmapoutre, pour déterminer le rôle de la diversité lithologique et des processus de transport sur la composition isotopique des eaux et sédiments de rivières 5/ L'exploitation des résultats obtenus en vue d'affiner la modélisation du cycle du carbone au cours du Cénozoique. Ce projet se construit sur la base d'une complémentarité d'expertise, via une collaboration active entre deux spécialistes du traçage de source, une spécialiste du traçage de l'altération continentale, et un modélisateur du cycle du carbone. L'apport des mesures de haute précision des nouveaux systèmes isotopiques explorés dans ce projet, couplées à un modèle 3D du cycle du carbone, devrait conduire à franchir un pas décisif dans notre compréhension du contrôle du climat au cours des 60 derniers millions d'années.
Coordinateur du projet
Madame Laurie Reisberg (CRPG)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
GET (UMR 5563) Géosciences Environnement Toulouse, CNRS, Université Paul Sabatier
LOV - UMR7093 Laboratoire d'Océanographie de Villefranche
CNRS - CRPG CRPG
Aide de l'ANR 305 226 euros
Début et durée du projet scientifique :
octobre 2015
- 48 Mois