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Additions de nitrènes intermoléculaires chimio- et énantiosélectives – INTER-NIT

INTER-NIT. Dessein : aminer pour divertir

La recherche des médicaments de demain impose au chimiste de créer des réactions produisant un grand nombre de nouvelles molécules en peu d'étapes (stratégie divergente). Quoi de plus simple alors, pour atteindre ces objectifs de diversité et efficacité, que de découvrir des réactions d'introduction directe sur une molécule complexe comme un produit naturel, d'une fonction chimique azotée, ubiquitaire dans la structure des médicaments car associée à leur activité biologique.

Développer un scalpel moléculaire pour introduire à façon une fonction azotée

La découverte de nouvelles molécules bioactives passe par le criblage du plus grand nombre possible de composés. Pour atteindre un haut degré de diversité, une solution est, à partir d'un composé de référence, de concevoir des réactions permettant de modifier sélectivement une de ses fonctions chimiques. Les composés organiques étant par essence caractérisés par un grand nombre de liaisons C-H, la transformation sélective et programmée d’une liaison C-H donne l’opportunité de préparer un grand nombre de dérivés en une seule étape, sous réserve de trouver des conditions appropriées pour convertir chaque liaison C-H. De telles transformations constituent un défi pour le chimiste, car il est difficile de pouvoir discriminer des liaisons C-H proches par leur profil de réactivité. Néanmoins, la valeur ajoutée des produits attendus est élevée car leur préparation est difficilement envisageable par d’autres stratégies aussi directes.<br />Appliqué à la réaction d’amination, ce concept de réaction de fonctionnalisation chimiosélective doit permettre d’obtenir une grande diversité de composés azotés à partir d’un seul produit. L’enjeu est important car l’introduction sélective d’une fonction azotée est susceptible de modifier significativement le profil d’activité d’une molécule bioactive, tant dans sa capacité à interagir avec sa cible biologique que dans ses propriétés physico-chimiques (solubilité, stabilité, etc.).<br />A cette question de la chimiosélectivité s’ajoute de plus celle de la stéréosélectivité. La chiralité est en effet au cœur des sciences du vivant, et elle impose au chimiste organicien de préparer des molécules sous la forme d’un unique isomère.<br />L’objectif de ce projet est donc de développer une gamme de réactifs azotés pour la fonctionnalisation chimio- et stéréosélective de molécules complexes.

L’approche choisie pour résoudre la problématique du projet repose sur l’utilisation de la catalyse organométallique, avec notamment l’emploi de complexes de rhodium, combinée à l’emploi de réactifs azotés de la famille des « nitrènes ». Ces derniers sont des composés monovalents ne possédant que 6 électrons de valence, propriété qui leur confère une forte réactivité assimilable à une oxydation à 2 électrons, leur permettant notamment de s’insérer directement dans une liaison C-H. Leur forte réactivité, cependant, peut être problématique dans la perspective de développer des réactions sélectives, néanmoins, la liaison d’un nitrène à un complexe métallique permet sa stabilisation et, donc, le contrôle de sa réactivité pour des réactions sélectives.
Le choix d’exploiter la chimie des nitrènes pour l’amination directe d’une liaison C-H pose aussi un problème supplémentaire de chimiosélectivité en présence d’une double liaison C=C connue pour réagir avec un nitrène.
Les méthodes utilisées pour atteindre l’objectif du projet combinent un grand nombre d’expériences conçues par les deux partenaires. Elles visent, d’une part, à cribler des réactifs pour mettre au point des réactions efficaces tant au niveau du rendement que de la sélectivité, et, d’autre part, des substrats simples afin de collecter des informations permettant d’élaborer des modèles de réactivité. A terme, l’ensemble de ces données doit permettre l’application des réactions d’amination avec un bon degré de prédictibilité.

Les premiers 30 mois de travail ont abouti aux principaux résultats suivants :
- Les espèces de type « rhodium=nitrène » s’additionne de manière chimiosélective sur des composés hétérocycliques azotés insaturés. En fonction de la structure de ces molécules à la base de nombreux produits bioactifs, la réaction s’opère soit sur la double liaison C=C, soit sur la liaison C-H adjacente à la double liaison. Dans ce dernier cas, des conditions ont été décrites pour obtenir les produits azotés de manière stéréosélective.
- L’oxyamidation d’énamides conduit à des N,O-acétals qui peuvent réagir ensuite avec des nucléophiles pour donner de nouvelles molécules complexes hétérocycliques.
- De nouveaux réactifs azotés, précurseurs de nitrènes, ainsi que de nouvelles séquences réactionnelles ont été conçus avec succès dans une perspective de diversité moléculaire. Ils donnent accès à de nouvelles structures hétérocycliques peu décrites jusqu’alors.
- Une nouvelle réaction d’époxydation d’alcènes a été découverte fortuitement en combinant la catalyse au rhodium et la chimie de l’iode hypervalent. Cette réaction s’applique à des alcènes mono-, di-, et tri-substitués.
- La réaction d’amination C(sp3)-H a été appliquée à la fonctionnalisation tardives de molécules complexes disponibles à l’ICSN. En fonction des conditions utilisées, différents produits sont isolés et leur structure est en accord avec les prévisions en lien avec les résultats préalablement acquis sur des substrats tests. L’activité biologique des produits obtenus est en cours d’évaluation.
- De nouveaux complexes chiraux de dirhodium(II) ont été conçus dans l’optique de découvrir une réaction d’amination C(sp3)-H intermoléculaire asymétrique. Les excès énantiomériques obtenus à ce jour sont de l’ordre de 60-70%.

Les études prévues pour les prochains mois s’inscrivent dans la continuité des travaux réalisés lors des 30 premiers mois de ce projet, et décrits dans les rubriques précédentes. Plus particulièrement, l’accent sera mis, d’une part, sur la recherche de complexes chiraux pour la mise au point de réactions énantiosélectives d’amination, d’autre part, sur les notions de diversité et complexité moléculaire via le développement de cascades réactionnelles et l’étude de l’amination late-stage de molécules complexes.

Ce projet a pour l’instant fait l’objet de :
- 8 revues à comité de lecture (dont 2 publications multipartenaires)
- 2 chapitres d’ouvrage
- 11 conférences internationales
- 13 conférences et communications nationales
- 8 communications par affiche

Contexte scientifique
L’azote joue un rôle fondamental dans les produits de l’industrie pharmaceutique et agrochimique puisque sa présence influence de manière notable les propriétés pharmaco-dynamiques et –cinétiques de ces molécules. Dans ce contexte, des études récentes encouragent les chimistes à explorer de nouveaux espaces chimiques avec la recherche de nouveaux synthons azotés chiraux riches en carbones Csp3. Tout particulièrement, la recherche de nouvelles réactions catalytiques pour la synthèse et la fonctionnalisation d’hétérocycles azotés doit être privilégiée, et ce dans un contexte de chimie durable.
L’importance capitale de l’azote dans les sciences du vivant fait que le développement de nouvelles méthodes de formation de liaisons C-N est au cœur de la synthèse organique moderne. L’émergence récente de la catalyse organométallique a abouti à des avancées majeures dans ce but. Ce projet de recherche fondamentale s’inscrit dans ce domaine hautement compétitif de formation de liaisons C-N, avec pour objectif principal l’exploration de la chimie des nitrènes. Ces réactifs peuvent être assimilés à des oxydants à 2 électrons qui permettent d’introduire à façon des fonctions azotées selon un processus assimilable à une «chimie-click». La catalyse organométallique s’est avérée un outil précieux pour la mise au point de réactions intramoléculaires d’aziridination d’alcènes et d’amination C-H, dont l’efficacité est attestée par de remarquables applications en synthèse organique. Mais en dépit de ces résultats significatifs, force est de constater que le champ d’application des transferts de nitrène est très limité en version intermoléculaire. A ce jour, il n’existe pas de méthodes permettant de contrôler l’insertion chimiosélective d’un nitrène dans une liaison C(sp3)-H allylique ou sur la double liaison adjacente. Plus significativement, découvrir des additions intermoléculaires de nitrène catalytiques et asymétriques constitue toujours un défi très ambitieux à relever.
Objectifs
Via une collaboration entre des groupes dont les expertises reconnues sont centrées respectivement sur la chimie des nitrènes et la chimie hétérocyclique, le projet INTER-NIT vise à découvrir des méthodes inédites ainsi que des nouveaux réactifs et catalyseurs pour mettre au point des additions intermoléculaires chimio- et énantiosélectives de nitrènes. Une fois établies, ces réactions seront appliquées, d’une part à la fonctionnalisation « late-stage » de molécules complexes, éventuellement biologiquement actives, et d’autre part, à la recherche de cascades multicatalytiques. Ces applications devraient permettre de produire des bibliothèques de molécules complexes azotées. Il est important de souligner que le programme de travail repose sur des résultats préliminaires solides qui devront permettre d’atteindre les objectifs ambitieux fixés.
Le partenaire 1 a un savoir-faire reconnu dans la chimie synthétique de nitrènes, ayant publié des articles de référence dans le domaine. Le partenaire 2 possède une excellente expertise dans le développement de synthèses d’hétérocycles azotés à visée thérapeutique. La combinaison de ces deux expertises est un solide gage de réussite pour la réalisation du projet INTER-NIT.
En conclusion, cette étude vise à améliorer les connaissances dans le domaine de la chimie synthétique des nitrènes, par la découverte de nouvelles réactions intermoléculaires sélectives. Notamment, il est fondamental de rappeler que l’amination catalytique de liaisons C(sp3)-H est un processus inconnu dans la nature. Mettre au point une telle réaction au laboratoire constituera un outil synthétique sans précédent pour le chimiste, avec des retombées éventuelles dans un cadre de propriété intellectuelle. A travers la collaboration proposée par le projet INTER-NIT, nous sommes persuadés que ces études aboutiront à la découverte de réactions innovantes et performantes, permettant à ce consortium de se maintenir parmi les leaders du domaine.

Coordination du projet

Philippe DAUBAN (Institut de Chimie des Substances Naturellles UPR2301)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CNRS-ICSN Institut de Chimie des Substances Naturellles UPR2301
ICOA Institut de Chimie Organique et Analytique

Aide de l'ANR 397 964 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2015 - 42 Mois

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