DS0103 - Les sociétés face aux changements environnementaux

Réponses impériales et provinciales aux défis environnementaux et économiques à la frontière de l'Empire (Désert égyptien, Ier-VIe s. p.C.) – CRISIS

CRISIS. Réponses impériales et provinciales aux défis environnementaux et économiques à la frontière de l'Empire (Désert égyptien, Ier-VIe s. p.C.)

La deuxième moitié du IIIe s. de notre ère a longtemps été perçue comme une période de crise politique majeure dans l’Empire romain, avec une diversité des situations dans les différentes provinces. En Égypte, on en entrevoit des manifestations tout au long d’une période de transition qui s’étend du début du IIIe s. jusqu’au VIe s. de notre ère, et la dimension environnementale à la frontière méridionale, dans la Grande Oasis (Dakhla et Kharga), est à prendre en considération.

Evaluer les relations entre les crises environnementales et les transformations économiques et politiques à la frontière méridionale de l'Empire romain pendant la «crise du IIIe siècle«

Notre objectif est de documenter les relations entre les crises environnementales pesant sur le périmètre irrigué dans la Grande oasis et les transformations politiques et économiques observables sur cette région de frontière de l'Empire durant la période de transition vers l'Antiquité tardive, en mobilisant la prospection géoarchéologique, l'analyse des vestiges architecturaux et les sources écrites.<br />Afin d'appréhender précisément l'organisation, l'ampleur et l'insertion dans l'économie impériale des zones agricoles oasiennes, nous devons évaluer l'articulation des terroirs avec les établissements humains, les installations militaires et les infrastructures de production, dans la durée et dans l'espace. Une description des emplacements des terrains, des techniques d'irrigation et de captation de l'eau mises en oeuvre, et de leur transformations est indispensable, afin de montrer comment la présence romaine, notamment militaire s'insère dans la vie et l'économie oasiennes - agriculture, infrastructures minières et sites urbains.<br />Il s'agit en outre d'analyser les conséquences des transformations d'ordre environnemental sur l'économie et la vie politique. Dans quelle mesure la gestion des terroirs s'est-elle adaptée à des fluctuations climatiques et comment les relations entre les populations vivant de l'oasis, semi-nomades et sédentaires ont-elles été impactées? Quels étaient précisément les enjeux politiques et économiques sous-jacents? La question de la sécurité dans cette zone de frontière ne peut être mise de côté. Pour cette raison, nous souhaitons améliorer notre connaissance du système de fortification dans la Grande oasis, en menant une prospection des forts de Nord Kharga et en utilisant la documentation disponible dans les archives de l'armée britannique, un temps stationnée dans la région durant la Première Guerre Mondiale. Ces éléments seront mobilisés pour la fouille de la forteresse d'El-Deir, véritable clé du système.

La géoarchéologie est au centre de la collaboration entre nos quatre équipes archéologiques, qui travaillent dans la Grande Oasis. Dans le sillage d'une collaboration avec les équipes d'El-Deir (ANR OASIS) et d'Amheida (Partner University Fund «Oasis Major«), Jean-Paul Bravard et son équipe étendent leur terrain d'investigation à tout le nord de l'oasis de Kharga, en synergie avec le NKODAAS et l'ERC LIFE. Nous examinons les changements climatiques et environnementaux au nord et à l'ouest de la Grande Oasis de manière diachronique, dans leurs relations avec l'activité humaine.
Le rétrécissement de l'occupation humaine dans la Grande Oasis durant l'Antiquité, lié à la problématique des ressources en eau et de leur gestion, est appréhendée grâce à une approche géomorphologique et géoarchéologique, en déterminant les phases d'expansion, de rétractation et de disparition des terroirs oasiens. Après avoir établi un cadre prospectif, nous nous concentrons sur des zones spécifiques correspondant aux sites fouillés et prospectés par les quatre missions archéologiques. Leur complémentarité nous permet d'étudier les relations entre les périmètres irrigués et les sites urbains (Amheida), militaires (Umm Dabadib, Deir) et les voies de circulation (NKODAAS). Les transformations de l'économie locale afférentes sont affinées en mobilisant nos équipes de céramistes et de spécialistes des textes. Les zones d'accès aux ressources minérales et les infrastructures minières feront l'objet d'une prospection archéologique et d'une datation systématiques.

Des outils collaboratifs et pluridisciplinaires ont mis en place. La base de données de la mission archéologique d’El-Deir, reconfigurée par J. Carayon, rassemble en plusieurs tables la base de données généraliste et les bases de spécialistes, en particulier des textiles, que nous serons appelés à valoriser comme plateforme pour les archéologues. Un SIG, développé par A. Bolo, est techniquement opérationnel et géoréférence l’ensemble des données spatiales à disposition.
Sur le plan de la spatialisation, un premier travail de cartographie des réseaux hydrauliques et de toutes les structures anthropiques a été réalisé par J.-P. Bravard et R. Gruel à grande échelle, en se concentrant essentiellement sur les secteurs de Umm al Dabadib, Qasr al Lebekha, El-Deir et Mohammed Tuleib. Nous avons également géoréférencé les cartes géologiques afin de prendre en compte les caractéristiques physiques des différentes couches présentes dans la région. La collaboration avec le Politecnico de Milan et du MUSA Centre de Naples a permis de définir une méthodologie commune et de répartir les compétences (géomorphologie, hydrologie, survey 3D) en vue de la campagne de terrain.
La réflexion sur la résilience des sociétés oasiennes et leur appréhension par l'archéologie a fait l'objet d'un post-doc, portant sur l'’apparition des grands domaines agricoles (oikoi) en Égypte au tournant de l’Antiquité tardive (IIIe-Ve siècles) et sur leur traduction archéologique, en préalable à la fouille de la tour isolée d'El-Deir, dont nous postulons qu'elle faisait partie d'une grande ferme(J.-Ph. Carrié).
En préliminaire à la fouille du fort d'el-Deir, des recherches à Londres ont été menées par L. Chantre, afin de recueillir des informations d'ordre photographique et archivistique sur le rôle joué par le fort d'El-Deir pendant la courte guerre qui opposa les troupes de l'empire britannique aux Ottomans alliés de la confrérie de la Sanusiya entre avril 1916 et février 1917.

Le programme développé par Corinna Rossi au sein de l’ANR CRISIS a été soumis à l’ERC et a été sélectionné dans le cadre des Consolidator Grants : projet L.I.F.E. (2016-2021). Recrutée comme Assistant Professor au Politecnico di Milano et forte du soutien de l’ERC et de l’ANR, Corinna Rossi s’est impliquée auprès du Ministère de l’Environnement et de l’UNESCO, pour déposer, en synergie avec Ashraf Salem, Salima Ikram et Gaëlle Tallet, un dossier de création d’une Zone Protégée comprenant tout le nord de l’oasis de Kharga (concessions du NKOS, d’Umm Dabadib et d’el Deir) : il s’agira de protéger l’environnement oasien (faune, flore, géosites) et les vestiges archéologiques associés. Ce projet fait l’objet d’une importante collaboration avec les autorités égyptiennes et doit contribuer à une meilleure intégration des équipes archéologiques dans le débat environnemental en Égypte.
Les difficultés rencontrées dans l’accès au terrain archéologique ont été compensées par un redéploiement des efforts des équipes vers une amélioration de la réflexion méthodologique, des infrastructures de recherche et des collaborations entre équipes archéologiques, institutions égyptiennes et étrangères en Égypte.

Le programme collaboratif CRISIS a donné lieu à plusieurs publications conjointes.

Certains concepts peuvent occulter par leur puissance évocatrice même la diversité et les nuances – régionales, périodiques – des phénomènes qu’ils décrivent. Le concept de « crise » est de ceux-là, en ce qu’il semble opportunément restituer la complexité d’événements dont on pressent qu’ils ont été décisifs et porteurs de mutations fondamentales, mais introduit toutefois une dimension temporelle problématique, concentrant en un temps limité des phénomènes structurels et des séquences dont la convergence n’est pas évidente. Jared Diamond, qui lui a préféré le concept d’ « effondrement » (2005), a considérablement approfondi l’approche d’un processus qui conduit à penser la question fondamentale de la résilience des sociétés, anciennes ou modernes, en mettant l’accent sur les processus d’adaptation, de réponse et d’innovation. De fait, ces concepts de « crise » ou d’« effondrement » ont profondément marqué l’historiographie, et en particulier celle de l’Empire romain, comme en témoignent les travaux controversés d’Huntington, qui a tenté de penser l’effondrement de Rome dans une perspective climatique. Mais ils posent aussi d’importants problèmes méthodologiques : quelle échelle de temps retenir ? Comment rendre compte des résiliences des structures ? Comment évaluer les dynamiques et éventuellement les apports d’une crise au sein d’une société ?
À cet égard, la deuxième moitié du IIIe s. de notre ère a longtemps été perçue comme une période de crise politique majeure dans l’Empire romain, à laquelle les auteurs anciens, païens comme chrétiens, associent fréquemment un cortège de guerres incessantes, d’incursions barbares, de famines, d’épidémies et de tremblements de terre. Les historiens des dernières décennies ont pu apporter des nuances à cette « grande crise du IIIe siècle », selon l’expression de Marc Bloch, et ont souligné la diversité des situations dans les différentes Provinces. En Égypte, on peine à articuler les différentes facettes invoquées de cette crise –militaire, matérielle, culturelle, économique– souvent attribuées hâtivement au IIIe s., et on en entrevoit dans les sources des manifestations tout au long d’une période de transition qui s’étend du début du IIIe s. jusqu’au VIe s. Une crise difficile à appréhender, donc, et qui requiert une approche pluridisciplinaire et sur une longue durée. C’est ce qui transparaît de l’examen de la situation dans une zone fondamentale pour comprendre la période, à savoir les oasis du désert Libyque et plus particulièrement la Grande Oasis, entité formée par les oasis de Dakhla et de Kharga, dont l’insertion dans une ligne de frontière défensive au sud de l’Empire a fait débat. Contre toute attente, dans ce milieu oasien, quasiment insulaire, fragile et exposé, proche des modèles îlotiques retenus par Diamond, la crise échappe, l’effondrement menace sans cesse mais ne se laisse pas aisément documenter. C’est davantage la résilience de ces sociétés que nous montrent les sources.
Quatre missions archéologiques travaillant dans la Grande Oasis – l’équipe d’Amheida, à Dakhla, dirigée par Roger Bagnall, le North Kharga Oasis Darb Ain Amur Survey, sous la responsabilité de Salima Ikram, la mission italienne d’Umm Dabadib, dirigée par Corinna Rossi, et la mission française d’el-Deir, dirigée par Gaëlle Tallet– se proposent de collaborer avec une équipe de géoarchéologues, dirigée par Jean-Paul Bravard, afin de tenter d’appréhender plus finement la situation dans cette zone majeure de l’Empire pendant une longue période de transition – du Ier au VIe siècle de notre ère – avec une méthode pluridisciplinaire. Les facettes environnementales, politiques, culturelles et économiques des différentes crises qu’a traversées la Grande Oasis à la fin de l’Antiquité seront étudiées de manière conjointe de manière à mieux appréhender la résilience et les capacités d'adaptation de ces sociétés, et à proposer une approche régionale de la question fondamentale de la fin de l’Empire romain.

Coordinateur du projet

Madame Gaëlle TALLET (Centre de Recherche Interdisciplinaire en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

Unilim Centre de Recherche Interdisciplinaire en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie
EVS CNRS Environnement Ville et Société
NYU Institute for the Study of the Ancient World
AUC Department of Egyptology
MUSA/Univ. Federico II Musei delle scienze agrarie

Aide de l'ANR 564 125 euros
Début et durée du projet scientifique : octobre 2015 - 48 Mois

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