DS0301 - Travail : organisation, relation, formation, santé, ...

Travail et fragilisations :visibilité, invisibilité et régulations dans quelques grandes entreprises françaises. – FRAGITRAV

Fragilisation au travail : une prise en compte sous conditions des liens entre parcours et santé

Comment prévenir l’apparition de problèmes de santé et maintenir en emploi dans de bonnes conditions des salariés ayant des difficultés ? La thématique n’est pas nouvelle, mais elle s’intensifie du fait du vieillissement de la population et de l’accélération des changements organisationnels. Au-delà des dimensions visibles du problème le projet veille à éclairer des niveaux de difficultés infra se jouant au niveau des situations de travail et en marge des dispositifs institutionnels de santé.

Des fragilités individuelles aux processus de fragilisation « par », « par rapport » et « dans » le travail

Le projet défend une approche conditionnelle et évolutive des liens santé-travail et vise à éclairer non pas des fragilités individuelles, mais des processus de fragilisation selon trois voies : la fragilisation « par » le travail - il s’agit d’examiner, dans la perspective conditionnelle évoquée, les effets du travail sur la santé, y compris positifs, en portant une attention particulière aux personnes présentant des difficultés, considérées alors comme des « analyseurs » des relations santé/travail ; la fragilisation « par rapport » au travail : le but est de repérer les caractéristiques du travail à l’origine de processus de sélection liés aux difficultés de santé, voire aux gênes dans le travail ; la fragilisation « dans » le travail : l’idée est ici de comprendre comment les travailleurs présentant des difficultés, leur encadrement, les praticiens concernés, se confrontent aux conditions de travail, selon quelles stratégies individuelles et/ou collectives. Ce projet a une triple ambition : 1) fournir des repères pour penser les processus de fragilisation, leur apparition et leurs inflexions, en termes diachroniques et collectifs ; 2) participer à l’amélioration des dispositifs de prise en charge en exploitant les données des entreprises impliquées (ou en contribuant à les élaborer) et en identifiant les bénéfices des régulations « invisibles » pour la santé des salariés et la performance économique des organisations ; 3) créer des espaces d’échanges et de co-élaboration de nouvelles pratiques entre entreprises connaissant des transformations et des problèmes similaires.

Le dispositif technique et méthodologique s’est appuyé sur une collaboration avec cinq entreprises des secteurs de l’industrie, des services et du transport selon une double démarche : (1) des études de terrains, menées en collaboration avec des acteurs de la santé dans les entreprises et ancrées dans des préoccupations locales et (2) un dispositif participatif basé sur l’organisation d’ateliers coopératifs réunissant des représentants des entreprises. A chaque niveau, des outils d’analyse quantitatifs (à partir des données des entreprises elles-mêmes) et qualitatifs (à partir d’enquêtes de terrain) ont été mobilisés afin, non seulement de produire des connaissances sur les processus de fragilisation, mais aussi de soutenir des politiques de prévention durables. La perspective diachronique et conditionnelle proposée a impliqué d’examiner des stratégies de régulation à plusieurs niveaux : individuel, collectif, organisationnel, avec une attention particulière portée aux collectifs de travail et à l’encadrement de proximité. Dans chaque entreprise partenaire, la problématique s’est déclinée selon des enjeux locaux.

Trois résultats majeurs du projet : • Les critères d’évolution des parcours rendent invisibles les dimensions de santé. Ils sont percutés par des critères de santé à condition que ces derniers soient institutionnalisés et alors considérés comme des obstacles organisationnels. • L’activité de l’encadrement intermédiaire est centrale pour la construction de la santé. Sous conditions, elle poursuit des finalités à long terme et s’ancre dans les parcours des encadrants eux-mêmes (modèle « profane » de santé). • Une typologie d’usage des indicateurs de santé est établie selon quatre fonctions : alerte, affinement, modération, veille

En proposant dès la conception de ce projet la « fragilisation » comme une notion accueillant de multiples représentations de la santé au travail co-existantes dans les entreprises partenaires, le projet a opéré plusieurs déplacements scientifiques et pour l’intervention : - La fragilisation n’est pas un état – qui renvoie à des caractéristiques individuelles et à une catégorie de travailleurs fragiles – mais à un processus entremêlant de multiples temporalités, qui s’accordent plus ou moins entre elles, et dont la mise en cohérence échoit à chacun dans son activité. Le coût de cette mise en cohérence, et les possibilités de développement qu’elle suscite, valent d’être compris. - Etudier les processus de fragilisation, leurs modalités de construction, revient ainsi à s’interroger sur les conditions qui soutiennent des parcours en santé et en compétences. - La défense dans l’entreprise d’une conception plurielle de la santé décloisonne les périmètres des acteurs de la production, RH et de la santé au travail. Elle ouvre à de nouvelles modalités de transformations du travail, que le projet pointe. - L’approche conditionnelle, évolutive et située de la « fragilisation », alimente une conception non déterministe des parcours soutenue en sociologie et ouvre des perspectives de développement à l’ergonomie constructive. - Ces déplacements peuvent contribuer aux débats publics relatifs au développement des compétences au long de la vie, à la flexibilisation des parcours et à la prise en compte des pénibilités

Ce projet a soutenu financièrement et scientifiquement une thèse d’ergonomie qui sera soutenue fin 2018. Il a contribué à l’organisation de deux symposiums au congrès international de la Société d’Ergonomie de Langue Française (2015 et 2017) et à la co-organisation d’un colloque en 2016 à Paris. Il a donné lieu à six communications dans des congrès internationaux de différentes disciplines (Ergonomie, Sociologie du Travail, Organizational Design And Management).

En France, plus d’un million de salariés par an se voient notifier des avis médicaux comportant des restrictions d’aptitude ou des aménagements de poste, et plusieurs milliers sont déclarés inaptes. Le contexte social et démographique renforce l’importance de cette question du maintien en emploi à tous les âges de la vie professionnelle, tandis que les entreprises font face à un environnement économique tendu par des ajustements permanents de leurs outils de production. Ces changements fréquents, organisationnels et technologiques, rendent difficile une gestion sur le long cours des déficiences de santé, et conduisent souvent à des processus d’intensification du travail, particulièrement préjudiciables aux salariés souffrant de déficiences. Nous désignons par le terme « fragilisation » l’ensemble des processus d’apparition de ces difficultés, dépendantes du contexte de travail, qu’elles soient ou non prises en charge par des dispositifs dédiés.
Ce projet porte un double registre de préoccupations, scientifiques et pratiques. Il s’ancre dans des préoccupations pratiques car il s’appuie sur une collaboration avec cinq grandes entreprises des secteurs de l’industrie, des services et du transport, soucieuses de mieux prendre en compte les caractéristiques des salariés dans leurs politiques de changements du travail et de limiter les dégradations de la santé. Membres du GIS CREAPT, comme le sont aussi les partenaires scientifiques du projet, elles auront un rôle collaboratif important dans la mise en œuvre du projet et ses retombées concrètes, son orientation et sa dynamique. D’un point de vue scientifique, les termes de « déficience », « inaptitude », « employabilité », « restriction », semblent supposer une visibilité ou une identification des difficultés des salariés, et désigner principalement des préoccupations d’acteurs de la santé ou des ressources humaines. C’est une approche plus complexe que propose ce projet. Il s’intéresse d’une part aux processus de mise en visibilité / invisibilité de ces difficultés, et à l’ensemble des acteurs, plus ou moins « visibles », ayant à faire avec cette fragilisation des salariés - notamment les encadrants, qui doivent gérer au quotidien ces salariés fragilisés tout en tenant des objectifs de performance et de qualité. Il intègre d’autre part l’idée que les salariés eux-mêmes ne sont pas passifs dans ces processus de fragilisation : ils élaborent dans l’activité de travail, individuellement et collectivement, au fil des parcours, des stratégies qui intègrent leurs difficultés. Dans cette perspective, l’analyse des relations santé/travail ne peut se limiter à considérer le travail comme un facteur de dégradation : il est aussi potentiellement ressource pour la santé. Cette conception ouvre de nouveaux registres d’action relatifs à la conception du travail et à la prévention de la santé, là où les dispositifs dédiés de gestion des déficiences se concentrent essentiellement sur la prise en charge des problèmes survenus.
La fragilisation sera analysée dans ses liens avec le travail selon trois perspectives : la fragilisation « par », « par rapport » et « dans » le travail. Et ce à plusieurs niveaux de régulation : au niveau organisationnel, au niveau des collectifs de travail et au niveau de trajectoires individuelles. Ce projet a pour ambition de combiner l’analyse des régulations sociales en jeu et des régulations individuelles et collectives dans l’activité de travail, avec une approche pluridisciplinaire articulant ergonomie, sociologie et démographie du travail et combinant analyses quantitatives et qualitatives. Considérer la fragilisation comme un processus implique aussi de développer des outils d’analyse diachronique et synchronique. L’analyse de l’activité, focalisée sur l’ici et le maintenant, sera enrichie d’analyses sur les parcours, tandis que les processus de régulation sociale seront envisagés dans une perspective historique.

Coordination du projet

Corinne Gaudart (Laboratoire Interdisciplinaire pour la sociologie économique)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

LATI Laboratoire Adaptations Travail Individu EA 4469
CEE Centre d'Etudes de l'Emploi
LISE Laboratoire Interdisciplinaire pour la sociologie économique
Paragraphe Laboratoire Paragraphe, équipe C3U

Aide de l'ANR 152 014 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2014 - 24 Mois

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