Les politiques de gouvernance par les résultats de l'éducation : une comparaison France/Québec – (New)AGE
Gouverner l’école par ses résultats ? Une comparaison France-Québec
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Une sociologie des politiques d’accountability en éducation
Depuis plusieurs décennies se développent de nouveaux modèles de gouvernance publique inspirés du New Public Management. S’affirment ainsi en éducation des politiques d’accountability qui visent à améliorer l’efficacité et l’efficience de l’école en valorisant diverses formes de reddition de comptes de la part des acteurs de ce champ.<br /><br />Ces transformations ont été beaucoup étudiées par les chercheurs, notamment anglophones. Certains essayent d’évaluer le type d’accountability le plus efficace pour améliorer les résultats des élèves. D’autres s’interrogent sur les raisons et les significations du développement de ces politiques : montée d’une économie de la connaissance liée à la mondialisation, crise des formes d’intervention de l’Etat-social, influence des organisations internationales, montée d’une orthodoxie néolibérale etc.<br /><br />Intéressantes, ces approches ont néanmoins chacune leurs limites. La première se concentre sur les effets officiellement attendus de ces politiques et théorise peu les processus leur permettant de produire des changements (ou non). A dominante macroscopique, la seconde privilégie souvent une analyse des discours transnationaux et documente peu la mise en œuvre concrète et effective de ces politiques.<br /><br />La recherche (New)AGE tente de combler ces lacunes en proposant une analyse sociologique de la trajectoire et de l’instrumentation de ces politiques dans deux systèmes scolaires, ainsi que des médiations qui interviennent dans leur mise en œuvre.
A rebours de travaux à dominante anglophone souvent centrés sur les systèmes éducatifs ayant le plus développé cette logique d’accountability, la recherche NewAge compare, conformément à la méthode dit des cas les plus différents, deux systèmes scolaires – la France et le Québec – très contrastés en termes 1) de structure de gouvernance (système scolaire français plus centralisé et moins fragmenté), 2) de degré de développement des politiques d’accountability (plus formalisées au Québec) et 3) d’exposition aux doctrines transnationales anglophones (exposition plus précoce et plus forte au Québec).
Ce choix permet non seulement d’étendre la couverture géographique de la recherche sur le sujet mais aussi de retenir des terrains d'investigation privilégiés pour étudier la variété des logiques d'appropriation des doctrines transnationales à l’œuvre dans les systèmes éducatifs.
Les méthodes déployées sont qualitatives : analyses de corpus de documents (textes officiels, documents institutionnels, dépêches de presse, articles de revues) ; observations formelles en établissements et au sein d’administrations scolaires et entretiens à différents niveaux du système.
Les résultats de cette recherche sont nombreux. L’analyse des trajectoires de long terme de ces politiques met en évidence non pas une néolibéralisation de l’école sous l’effet du New Public Management mais un renforcement du pouvoir étatique. L’étude des logiques de médiation donne à voir le rôle essentiel de co-construction de ces politiques par les autorités intermédiaires des deux systèmes. Cette co-construction a des effets contrastés : au Québec, elle se traduit par le développement d’une nouvelle gestion de la pédagogie par les commissions scolaires alors qu’en France, on observe des politiques académiques différenciées qui parfois diluent, parfois amplifient la politique nationale. Le pouvoir d’enrôlement des instruments d’accountability enfin reste fort variable d’un système à l’autre : ceux-ci ont peu d’effets sur les enseignants et leurs pratiques pédagogiques en France contrairement au Québec.
La recherche (New)AGE présente deux intérêts majeurs : elle est fondée sur une sociologie pluraliste et empirique de l’action publique en éducation, et elle propose une analyse multi-niveaux. Ces deux points ont des répercussions différentes selon les traditions d’analyse envisagées. Nous prenons ici trois exemples qui ne sauraient être exhaustifs.
En ce qui concerne la recherche internationale en éducation sur les changements de gouvernance des systèmes scolaires, la recherche (New)AGE remet fortement en cause une vision dominante selon laquelle ces changements seraient le résultat d’une convergence plus ou moins forte de ces systèmes vers des modèles de régulation transnationaux, d’une part parce qu’on assiste à des mondialisations vernaculaires différentes selon les cas, et d’autre part parce que l’analyse multi-niveaux met clairement en évidence des médiations importantes opérées à chacun de ces niveaux, conduisant souvent à des appropriations sélectives, voire parfois à une véritable dilution des mots d’ordre (trans)nationaux.
En ce qui concerne la recherche, française ou internationale, sur l’analyse des politiques publiques et la sociologie de l’action publique, la recherche (New)AGE montre tout l’intérêt d’interroger les transformations de la gouvernance publique et la réforme de l’Etat à travers le secteur de l’éducation, de plus en plus étudié, mais encore peu pris en compte dans les constats généraux posés par les sociologues et politologues.
En ce qui concerne les travaux en sociologie de l’éducation et en sciences de l’éducation sur le système scolaire français, la recherche (New)AGE montre les limites d’analyses répandues qui se focalisent sur un niveau d’action publique en particulier, par exemple le niveau local de l’établissement après, dans le meilleur des cas, avoir contextualisé la mise en œuvre d’une politique ou d’un dispositif aux niveaux national et intermédiaire.
11 articles dans des revues à comité de lecture
1 ouvrage collectif
31 communications et conférences
1 article de vulgarisation
Organisation de 7 événements scientifiques internationaux
Le projet (New)AGE vise à comparer la mise en place depuis une quinzaine d’années d’une gouvernance par les résultats dans les systèmes éducatifs français et québécois. L'ambition générale est de contribuer à une meilleure compréhension des processus et des conditions affectant l’institutionnalisation et le mode opératoire de ces nouvelles formes de gouvernance, et par là d’ébaucher les éléments d’une théorie des processus et mécanismes par lesquels les modèles de « gouvernance par les résultats » agissent et produisent (ou non) les effets attendus par les autorités scolaires, mais aussi des effets inattendus ou contraires aux intentions de leurs promoteurs. Il s’agit d'interroger les dynamiques propres à chaque système et la plus ou moins grande diversité de sens associée à la traduction de certaines doctrines internationales comme l'accountability et le New Public Management dans des contextes nationaux et locaux spécifiques.
Trois objectifs de recherche principaux sont poursuivis.
1. Comprendre et comparer la trajectoire particulière de la politique propre aux deux sociétés, et les formes de gouvernance par les résultats mises en place dans chaque système scolaire, par delà l’influence de modèles transnationaux qui les inspirent.
2. Analyser et comparer le rôle d’acteurs organisés, à plusieurs échelles d’action publique (nationale, régionale ou locale), dans la réception, la recontextualisation et l’appropriation de ces politiques. Ces processus médiateurs conditionnent leur légitimité et réorientent ou aménagent les formes de régulation par les résultats mises en place dans chaque système éducatif.
3. Analyser et comparer les effets spécifiques associés à la variété d’outils et d’instruments d’action publique (indicateurs, plans, contrats), mobilisés pour opérationnaliser cette politique, ainsi que la diversité de leurs usages, sur l’efficacité et la légitimité de ces formes de gouvernance.
Ces objectifs supposent le recours à un cadre théorique d'analyse pluraliste (celui de la sociologie de l'action publique en éducation), qui emprunte à différents courants de la sociologie (sociologie de l'éducation, de la régulation, des organisations, de la connaissance et des professions principalement), à l'analyse des politiques publiques en science politique (travaux sur les instruments d'action publique, la gouvernance ou la réforme de l'État) et aux sciences de l'éducation (enjeux de la mesure et de l'évaluation, identités professionnelles des enseignants).
La recherche repose sur des méthodes d'analyse qualitatives : 200 entretiens semi-directifs auprès d'acteurs des systèmes éducatifs étudiés, analyse de la documentation officielle et de la littérature professionnelle, exploitation de dépêches d'une agence de presse spécialisée (pour la France) et analyse de documents internes aux organismes étudiés. Les modalités de mise en œuvre seront en partie définies sur la base d’outils communs aux deux équipes de recherche nationales, notamment pour les guides d’entretien.
L'enquête de terrain sera conduite à différents niveaux d'analyse : international (par le biais d'une revue de littérature), national, régional et local. Dans chaque système, trois terrains de recherche ont été identifiés (trois commissions scolaires au Québec et trois académies en France) selon divers critères (caractéristiques institutionnelles, résultats scolaires, degré d'implication dans les politiques de reddition de comptes et accessibilité du terrain) afin de permettre d'observer une variété de situations significatives. Dans chacune d'elles, un nombre réduit d'établissements seront étudiés de manière plus approfondie.
La recherche sera menée à parité par 5 chercheurs québécois (Centre de Recherche Interuniversitaire sur la Formation et la Profession Enseignante, Université de Montréal) et 5 chercheurs français (Observatoire Sociologique du Changement, CNRS-Sciences Po Paris). Ces derniers bénéficieront aussi du travail de deux ingénieurs d’étude.
Coordination du projet
Agnès van Zanten (FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES) – agnes.vanzanten@sciencespo.fr
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
Université de Montréal Université de Montréal
OSC FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES
Aide de l'ANR 149 510 euros
Début et durée du projet scientifique :
mars 2012
- 36 Mois