Blanc SVSE 4 - Sciences de la vie, de la santé et des écosystèmes : Neurosciences

Contribution des canaux K+ TASK à la chémosensibilté centrale de l'activité respiratoire – RESPITASK

Adaptation de la respiration à l'hypercapnie et à l'hypoxémie

L'adaptation de la respiration aux changements des niveaux de CO2 et d’O2 dans le sang nécessite des senseurs chimiques dont la nature exacte est encore inconnue. Les canaux potassiques de la famille TASK qui sont sensibles au pH et à l'oxygène et qui sont localisés dans des neurones spécifiques sont de bons candidats qui seront testés au moyen de souris génétiquement modifiées.

Chémosensibilité de la respiration

L’activité respiratoire est élaborée par un réseau neuronal composé de plusieurs groupes de neurones respiratoires situés dans le tronc cérébral. Ce réseau distribue une commande respiratoire rythmique aux motoneurones qui mobilisent la musculature des voies aériennes supérieures et celle du soufflet thoracique. Ll’activité ventilatoire de base est en permanence ajustée pour répondre aux besoins métaboliques de l’organisme. Des neurones spécialisés détectent les variations de pression partielle en dioxygène (O2) ou en dioxyde de carbone (CO2). Ces neurones chémosensibles sont localisés dans le système nerveux périphérique et central et sont capables de modifier l’activité produite par le réseau respiratoire. La sensibilité à l’O2 est attribuée en grande partie aux corps carotidiens responsables de l’arc chémoréflexe périphérique. A l’inverse, la détection des variations de CO2 ou de la concentration en ions H+ est principalement assurée par plusieurs groupes de neurones chémosensibles du tronc cérébral. <br />Des anomalies de la chémosensibilité centrale sont responsables de nombreuses pathologies respiratoires, comme la détresse respiratoire sous médicaments ou anesthésie, le syndrome des apnées obstructives du sommeil ou encore l’hypoventilation alvéolaire centrale congénitale. Pourtant, les mécanismes cellulaires et moléculaires de la chémosensibilité sont encore mal connus. Plusieurs «détecteurs« d’O2 et de CO2/pH ont été proposés dont plusieurs membres de la famille des canaux potassiques. Les canaux TASK1, TASK2 et TASK3 sont de bons candidats en raison de leurs propriétés biophysiques et de leur localisation. Les objectifs du projet sont de caractériser leurs rôles dans l’adaptation de la respiration au cours de changements des niveaux d’O2 et de CO2/pH. Des souris génétiquement modifiées sont utilisées pour analyser les effets respiratoires induits par la délétion des gènes codant pour ces canaux.<br />

Nous avons combiné plusieurs approches expérimentales pour étudier directement les conséquences de la délétion des canaux TASK sur la sensibilité au pH des neurones individuels ainsi que la modulation par le CO2 et par l'O2 de la commande respiratoire centrale. A l’échelle cellulaire, la technique de patch clamp sur tranches de tronc cérébral permet d'enregistrer l'activité électrique de neurones identifiés dans des structures spécifiques du système nerveux central au cours de différentes conditions expérimentales. La comparaison entre résultats sur tranches issues d'animaux sauvages ou d'animaux invalidés pour l'un ou l'autre des canaux TASK permet de déduire le rôle joué par ces canaux dans la régulation de la commande respiratoire. Les techniques d’histochimie et d'immunomarquage permettent le repérage sélectif des neurones d’intérêt et leur quantification. La préparation perfusée in situ (ou working heart-brainstem preparation) permet d’enregistrer l’activité électrique des principaux nerfs qui commandent les muscles respiratoires, en particulier le nerf phrénique qui innerve le diaphragme et les nerfs hypoglosse et vague qui contrôlent la musculature des voies aériennes supérieures. L’activité extracellulaire des neurones respiratoires est également enregistrée in situ de manière à évaluer le rôle des canaux TASK dans le contrôle du rythme respiratoire généré par le tronc cérébral (échelle semi-intacte). Au niveau le plus intégré, la pléthysmographie est employée pour mesurer les paramètres ventilatoires chez la souris consciente éveillée. En particulier, les mesures indépendantes du flux nasal et des mouvements thoraciques par la technique dite de « double-chambre » permettent d’évaluer le niveau de résistance au flux d’air imposé par les voies aériennes supérieures (VAS).

Nous démontrons que le canal K+ TASK2 est un senseur majeur du pH et du CO2 dans les neurones du tronc cérébral impliqués dans la chémoperception et la modulation de l'activité respiratoire. Nos résultats révèlent un nouveau mécanisme moléculaire de détection des variations de CO2/pH médié par l’expression sélective de TASK2 dans la majorité de ces neurones. Il s'agit de la première identification sans équivoque d'un tel senseur et de ses effets sur l’excitabilité des chémorécepteurs centraux.La respiration est plus robuste en l'absence de TASK2. Nous avons également montré que la dépression respiratoire qui intervient normalement pendant une hypoxie prolongée ne se produit pas en l'absence du canal TASK2. Ce canal est donc également un senseur central du dioxygène, rôle absolument insoupçonné jusqu'alors. Il s'ensuit que le blocage de TASK2 est un moyen efficace pour maintenir une activité respiratoire robuste pendant les épisodes d'alcalose respiratoire ou d'hypoxie prolongée, ce qui pourrait être avantageux chez les patients souffrant d’apnées centrales du sommeil.
La délétion des canaux TASK1 et TASK3 ne modifie pas la chémosensibilité centrale ni la réponse ventilatoire aux variations de CO2/pH. Par contre, elle entraîne une augmentation de l’excitabilité des motoneurones hypoglosses ainsi qu’une décharge aberrante des motoneurones laryngés au repos provoquant un trouble de la coordination entre les muscles des voies aériennes supérieures et ceux de la pompe thoracique. Alors que les activités vagale et phrénique sont synchrones chez les souris sauvages, elles sont décalées d'une centaine de millisecondes chez les animaux invalidés pour TASK1, TASK3 ou les deux à la fois. In vivo, la délétion de ces canaux entraîne une augmentation de la résistance inspiratoire des VAS. L’activation de ces canaux pourrait donc permettre de diminuer la résistance laryngée et d’améliorer le flux d'air chez les patients atteints d’apnées obstructives.

Les apnées, et particulièrement les apnées du sommeil, résultent d'un défaut d'adaptation de la respiration aux besoins métaboliques de l'organisme. A ce jour il n'y a pas ou très peu de médicament pour traiter ces affections. La ventilation nasale par pression continue est à peu près le seul traitement efficace des apnées du sommeil. Ce traitement est souvent mal supporté par les patients. La connaissance des acteurs moléculaires qui permettent l'adaptation de la respiration proprement dite ainsi que la coordination nécessaire des différents groupes de muscles impliqués est une étape déterminante vers la découverte de nouveaux médicaments pour lutter contre cette affection extrêmement fréquente et très invalidante.

Nous avons produit deux publications à la suite de ce travail, l'une parue en 2013 dans la revue Journal of Neuroscience, l'autre encore en cours de rédaction.
La première publication (Wang, et al. (2013) «TASK2 Channels Contribute to pH Sensitivity of Retrotrapezoid Nucleus Chemoreceptor Neurons« J.Neurosci 33, 16033-44) montre le rôle joué par le canal TASK2 dans la perception centrale des pH alcalins et les effets positifs de son blocage lors d'épisodes l'alcalose respiratoire.
La seconde publication précise le rôle des canaux TASK1 et TASK3 dans la coordination des muscles des VAS avec le diaphragme et décrit la conséquence de leur délétion sur l’activité de décharge de motoneurones et d’interneurones respiratoires.

La chémosensibilité est une propriété cruciale du système respiratoire pour que son activité soit en permanence adaptée aux besoins de l'organisme. Les pressions partielles du sang en CO2 et O2 ainsi que le pH sont perçus par des senseurs spécialisés au niveau périphérique (corps carotidiens principalement) et central (noyaux spécialisés dans le tronc cérébral). La diminution du pH sanguin ou l'augmentation de la pCO2 ainsi que l'hypoxémie entraînent immédiatement une hyperventilation compensatoire. Si la situation hypoxique se prolonge plusieurs heures, elle entraîne alors une dépression transitoire de la respiration. Des défauts de cette adaptation sont responsables de pathologies respiratoires comme les syndromes d'apnée du sommeil, la respiration alternée en altitude ou des détresses respiratoires causées par certains médicaments ou anesthésiques. Le syndrome d'hypoventilation centrale congénital est une forme sévère d'absence de chémosensibilé centrale de la respiration chez l'homme.
Nous connaissons relativement bien la topologie des structures respiratoires dans le tronc cérébral, mais nous ne connaissons pas avec certitude quels sont les noyaux directement engagés dans la chémosensibilité et encore moins les identités moléculaires exactes des chémorécepteurs. Les canaux K+ de fond (K2P) de la famille TASK présentent des caractéristiques fonctionnelles en termes de sensibilité au pH et aux espèces réactives de l'O2 qui font d'eux de bon candidats pour être des senseurs de CO2 et d'O2.
Ce projet vise à clarifier le rôle des canaux K+ TASK dans l'adaptation chémosensible de la respiration en évaluant leur participation dans l'activité électrique des neurones du noyau rétrotrapézoïde (RTN) et du raphé, tous deux supposés essentiels pour la chémosensibilité. L'activité électrique, enregistrée après acidification du milieu ou hypoxie, sera comparée dans les neurones de souris sauvages ou invalidées pour les différents canaux TASK (task1, task2, task3 ou les combinaisons task1-3 et task2-3). De plus, nous profiterons de l'expression très spécifique du canal TASK2 dans certains neurones chémosensibles, dont ceux du noyau rétrotrapézoïde, qui est affectée dans le syndrome d'hypoventilation centrale congénitale, pour préciser le rôle important de ce canal dans l'adaptation de la respiration, particulièrement pour ce qui est de la sensibilité centrale à l'oxygène. Nos travaux préliminaires sur les souris knockout task2 ont déjà montré que ce canal contrôle la sensibilité centrale de la respiration à l'O2 et participe à la sensibilité au CO2.
D'autre part, nous mettrons en œuvre la préparation de tronc cérébral perfusé "in situ" qui correspond à un système expérimental intégré préservant la majorité des nerfs et des muscles respiratoires. Cette préparation appliquée à nos différents modèles de souris invalidées pour les gènes TASK permettra d'évaluer leur participation dans le contrôle différentiel et l'adaptation chimique des voies aériennes supérieures et des muscles thoraciques. De plus, la facilitation à long terme, une modulation de l'activité synaptique dépendant de la sérotonine qui stabilise l'activité respiratoire pendant le sommeil sera étudiée au moyen de cette préparation et la participation des canaux TASK dans cette facilitation sera appréciée.
Nos travaux récents ont démontré l'importance du canal TASK2 dans la détection des changements de pO2 et aussi de pCO2 par les neurones du RTN. Ils nous amènent à proposer que des bloqueurs des canaux TASK2 pourraient aider à stabiliser la respiration pendant des situations où une hypoxie est à craindre, telles que le sommeil où l'altitude. Les travaux proposés permettront d'établir les mécanismes intervenant dans le contrôle chimique de la respiration faisant intervenir l'hypoxie et TASK2. Ils permettront aussi de préciser le rôle des autres canaux TASK (task1 et 3), ainsi que les rôles respectifs du raphé et du RTN dans la chémosensibilté centrale.

Coordination du projet

Jacques BARHANIN (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE COTE D'AZUR) – jacques.barhanin@unice.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

TIANP CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE COTE D'AZUR
CRN2M UNIVERSITE AIX-MARSEILLE II [DE LA MEDITERRANEE]

Aide de l'ANR 482 661 euros
Début et durée du projet scientifique : - 36 Mois

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