Les transferts couplés électron-proton sont des mécanismes clés dans de nombreux domaines (biologie, catalyse, piles à combustible …). L’étude d’un système comportant un ion Fe(II), un ion Fe(III) et un ligand possédant un proton échangeable constitue une opportunité unique pour appréhender ces mécanismes.
Le but ultime de ce projet est de comprendre dans le détail le transfert couplé électron-proton mis en évidence au sein d’un complexe dinucléaire à valence mixte Fe(II)Fe(III) possédant un ligand acide (LH). La réaction mise en jeu peut être résumée ainsi : Fe(III)Fe(II)–LH <–> Fe(II)Fe(III)–L + H+. Les deux formes Fe(III)Fe(II)–LH et Fe(II)Fe(III)–L de ce complexe présentent des caractéristiques différentes (couleur, etc…) et peuvent être vues à ce titre comme les partenaires d’un système bistable ou d’un commutateur moléculaire. Seuls deux exemples ont été précédemment mis en évidence en 1986 et 1991. Une autre question sous-jacente concerne le mécanisme détaillé du transfert couplé électron-proton : s’agit-il d’un processus concerté ou d’un mécanisme séquentiel où proton et électron sont transférés successivement ? La détermination des facteurs clés gouvernant la conversion d’une forme à l’autre et la concertation ou non des transferts est importante pour une large communauté scientifique où l’interaction entre transfert d’électron et transfert de proton est un processus clé.
Les composés étudiés ici présentent l’énorme avantage d’être composés de modules qui peuvent être modifiés. Ainsi le chimiste peut-il jouer (i) sur la nature du ligand acide portant le proton échangeable et ainsi moduler le pH auquel le transfert d’électron est déclenché, (ii) sur l’environnement des ions métalliques et donc sur la force motrice du transfert d’électron entre l’ion Fe(II) et l’ion Fe(III), (iii) sur la distance et le lien chimique entre les deux ions métalliques et donc sur la cinétique du transfert d’électron, et (iv) sur la distance entre le site du proton échangeable et les ions métalliques et donc sur l’influence mutuelle des deux transferts (proton d’une part et électron d’autre part). De plus, les deux formes Fe(III)Fe(II)–LH et Fe(II)Fe(III)–L présentent des caractéristiques différentes (de couleur par exemple) qui permettent leur identification de manière simple et sûre.
Cette grande modularité de ce système doit permettre de générer une grande variété de composés et ainsi de déterminer et d’étudier pleinement les facteurs clés contrôlant le transfert couplé électron-proton au sein de cette famille.
Les études électrochimiques qui ont été menées à ce jour ont permis de mettre au point une méthodologie pour discriminer entre un transfert concerté du proton et de l’électron versus un mécanisme séquentiel. L’étude détaillée menée sur un complexe où le ligand acide est une aniline, a démontré un processus concerté.
Des réactions impliquant un changement de position des ligands autour d’un des ions métalliques ont été mises en évidence, entraînant des différences de réactivité. Ces réactions s’avèrent être une caractéristique intrinsèque des systèmes FeIIFeIII synthétisés dans le cadre de ce projet. Cet exemple peut servir à l’ensemble de la communauté des chimistes.
Sur le plan théorique, la description précise de systèmes à transfert de charge s’est trouvée grandement enrichie par l’existence de tels composés, proprement caractérisés. En particulier, le coût énergétique associé au passage FeIIIFeII ? FeIIFeIII a été déterminé par des calculs théoriques originaux, précisant le rôle de la relaxation électronique et du choix des orbitales moléculaires.
Les propriétés physiques des composés FeIIIFeII–LH et FeIIFeIII–L sont très différentes et discriminantes. Ce système possède donc toutes les capacités pour être un commutateur moléculaire, l’interrupteur étant déclenché par le transfert d’un proton.
De manière inattendue, le travail théorique qui a été réalisé trouve un écho dans un domaine de recherche en plein bouleversement, impliquant entre autres les spectroscopies sub-femtoseconde.
Deux publications sont déjà parues et deux sont soumises. Une des publications parue en 2012 présente une étude détaillée du transfert couplé proton-électron. Le composé étudié possède une aniline comme ligand acide. Pour ce composé, des études par électrochimie ont permis de démonter que le transfert de proton et le transfert d’électron avaient lieu de façon concerté.
Ce projet a pour objectif de déchiffrer le mécanisme d'un transfert d'électron intramoléculaire déclenché par le pH au sein d'un complexe de fer binucléaire. Ce transfert couplé électron-proton (PCET) s'avère au coeur de nombreux processus rédox intervenant dans le fonctionnement d'enzymes binucléaires à fer non hémiques impliquées dans le métabolisme du dioxygène. Par ailleurs, ce système peut aussi être vu comme un interrupteur moléculaire contrôlé par le pH. Ainsi, ce projet possède des finalités importantes sur le plan fondamental et potentielles sur un plan appliqué. La compréhension détaillée de ce système profitera à une large communauté scientifique.
Ce système particulier a été découvert durant nos études sur la modélisation des sites Fe2 enzymatiques et associe une paire à valence mixte (VM) à un ligand protique (aniline, NH2-L) qui est lié à l'un des ions Fe et peut être déprotoné. Le point remarquable de ce système est le basculement des valences au sein de la paire métallique induit par la déprotonation de l'aniline par une base externe : FeIIIFeII-(NH2-L) + B -> FeIIFeIII-(NH-L) + BH+, réaction réversible qui plus est. Seulement deux exemples d'un tel transfert d'électron déclenché par le pH ont été rapportés dans la littérature mais les processus n'ont pas été analysés en détail.
Ce système allie deux aspects différents : le saut d'intervalence propre aux espèces à VM et son induction par le pH. Il faut noter que la dissymétrie du système rend son étude plus difficile par comparaison aux systèmes à VM décrits jusqu'à maintenant. Un premier examen permet d'identifier comme paramètres déterminants de ce PCET l'acidité du ligand aniline, les potentiels rédox de chaque ion fer et leur aptitude à communiquer entre eux. Alors que les deux premiers paramètres concernent la thermodynamique du transfer d'électron, le dernier touche principalement sa cinétique.
L'énorme avantage de ce système réside dans le caractère modulaire du ligand binucléant utilisé pour complexer les deux ions fer. Ainsi ce ligand fixe un ion Fe avec un bras possédant 3 atomes d'azote et l'autre ion Fe avec un autre bras N3 qui comporte l'aniline. Les deux ions Fe sont reliés par un pont phénolate auquel les deux bras azotés sont fixés et par un pont dicarboxylate. Les deux bras et les ponts peuvent être variés indépendamment de manière à moduler le potentiel rédox de chaque ion fer, le pKa de l'aniline et la distance Fe–Fe. Un second avantage réside dans l'existence de signatures spectroscopiques distinctes pour les deux formes tant en UV-visible, RPE, RMN que Mössbauer. Un troisième avantage est la possibilité de réduire et/ou d'oxyder ces espèces, et donc de générer un certain nombre d'espèces voisines qui peuvent être utilisées pour l'étude du PCET.
Le projet associe les compétences en synthèse et spectroscopies, électrochimie et chimie théorique de trois groupes afin d'aborder selon trois aspects complémentaires la question fondamentale du PCET intramoléculaire au sein d'entités binucléaires à fer. Premièrement, l'ET intrinsèque des VM sera considéré pour des systèmes aprotiques symétriques et dissymétriques où les potentiels rédox de chaque Fe et leur distance seront variés. Les résultats obtenus par spectroscopies seront validés par d'importants calculs de type CAS. Deuxièmement, la thermodynamique du PCET sera étudiée sur des sytèmes où les potentiels rédox de chaque ion Fe et le pKa de l'aniline seront modifiés. Ces effets seront analysés en combinant des techniques spectroscopiques et électrochimiques, et les conclusions validées par des calculs quantiques. Troisièmement, la cinétique du PCET sera analysée en combinant des techniques de stopped flow et d'électrochimie étayées par des mesures d'échange H/D.
Il est attendu que les analyses détaillées de tous les paramètres pertinents permettront au final de décrire le PCET global en termes de propriétés spécifiques (potentiel rédox, pKa, …) de chaque constituant du système.
Madame Geneviève BLONDIN (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-ALPES SECTEUR ALPES) – genevieve.blondin@cea.fr
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LCBM CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-ALPES SECTEUR ALPES
LCQ UNIVERSITE DE STRASBOURG
LEM UNIVERSITE DE PARIS VII [DENIS DIDEROT]
Aide de l'ANR 329 999 euros
Début et durée du projet scientifique :
- 36 Mois