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08/04/2020

Quels sont les impacts des changements d’usage des terres sur l’émergence de maladies infectieuses en Asie du Sud-est ?

L’empreinte humaine croissante sur les habitats et les ressources vivantes est particulièrement prégnante en Asie du Sud-est, une région caractérisée par une perte accélérée des couverts forestiers, une urbanisation croissante, une diminution de la biodiversité et l’émergence de maladies infectieuses. Pour mieux comprendre les effets des changements d’usage des terres sur le risque d’émergence, Serge Morand, directeur de recherche au CNRS et au CIRAD, mène plusieurs travaux en collaboration avec des scientifiques, administrations et communautés locales, selon une approche « One Health ».

De l’étude de la diversité des interactions rongeurs – parasites dans les habitats fragmentés

En Asie du Sud-est, les rongeurs sont les réservoirs majeurs de nombreux agents de maladies infectieuses ou parasitaires chez l’animal domestique et l’Homme (typhus, peste, etc.). Dans le cadre du projet ANR CERoPath (2008-2012) Serge Morand et ses collègues ont ainsi analysé la diversité et les dynamiques interactives des communautés de rongeurs et de leurs parasites et agents infectieux. « Nous avons privilégié des analyses en écologie, évolution et génétique des rongeurs pour tester différentes hypothèses de transmission en relation avec les changements des habitats, ceux-ci analysés par l’imagerie spatiale » indique-t-il.

Près de 4 000 tissus de rongeurs ont été prélevés dans 11 sites d’Asie du Sud-est, améliorant les connaissances sur leur diversité et distribution, et permettant la mise en place d’une plateforme d’identification par barecoding. Le screening moléculaire de nombreux micro et macro-parasites a contribué à l’identification de nouvelles espèces, et montré l’influence de l’habitat ou de la saison sur le portage parasitaire. 

Grâce à une description spatiale fine des sites, les niches environnementales des rongeurs et leurs prévalences d’infection ont été caractérisées, soulignant la présence de Rattus tanezumi dans la majorité des habitats. Des analyses de réseaux ont confirmé le rôle des rongeurs commensaux R. tanezumi et R. exulans comme réservoirs et sources potentielles d’agents pathogènes pour les humains. Une diversité importante en rongeurs, généralement associée à des habitats complexes, peut diminuer le risque infectieux comme dans le cas des hantavirus. Des agents infectieux comme les leptospires (Leptospira spp.), qui semblent bénéficier d’une diversité spécifique forte en rongeurs, voient leur prévalence augmenter sur des gradients d’urbanisation croissante.

« Les mosaïques paysagères dynamiquement entretenues par les communautés locales ont pour effet de favoriser la biodiversité tout en minimisant les risques infectieux et épidémiques, ce qui est attesté par la plus grande modularité des réseaux de partages d’agents zoonotiques chez les réservoirs, comparativement aux habitats fortement modifiés / urbanisés » explique Serge Morand. Le projet a mis en évidence la nécessité d’intégrer la composante sociale dans l’étude des liens biodiversité – santé.

A l’analyse des impacts et perceptions des changements globaux sur les risques de zoonoses

Le projet ANR BiodivHealthSEA (2012-2016) coordonné par Serge Morand a ainsi intégré le concept EcoHealth, qui accorde une place importante au social et au participatif, pour analyser les impacts locaux en Thaïlande, Cambodge et Laos des changements globaux sur les maladies issues de la faune sauvage, en relation avec les modifications de la biodiversité. Les changements de la gouvernance en santé, environnement et conservation ont également été analysés.

Le projet montre que la biodiversité est source de diversité des agents infectieux (Morand et al. 2014) et que les changements de biodiversité, notamment par les changements d’usage des terres (fragmentation, urbanisation) sont des facteurs de risques sanitaires et d’émergences de maladies infectieuses zoonotiques. Il confirme également le statut de plusieurs espèces de rongeurs comme réservoirs pour de nombreux pathogènes, qui sont favorisés avec la modification des habitats. Les changements d’habitats affectent les associations rongeurs-parasites (Bordes et al. 2015) pouvant conduire à l’émergence de pathogènes zoonotiques (Bordes et al. 2016). 

Au niveau local, les changements d’usage des terres sont perçus comme une augmentation du bien-être mais aussi comme sources de nouveaux risques (déforestation, inondations, etc.). Enfin, les émergences de nouvelles zoonoses sont perçues comme un encouragement à la coopération internationale et à l’implémentation d’initiatives nationales et locales afin d’améliorer la surveillance et la réduction des risques. 

Vers l’élaboration de scénarios en santé – climat - biodiversité

Fort de ces résultats, les chercheurs étudient désormais les impacts de l’intensification de la circulation le long du corridor économique (Thaïlande-Laos) sur l’évolution de maladies infectieuses d’intérêt pour la santé publique, dans le cadre du projet ANR FutureHealthSEA (2018-2021). L’objectif ? Développer des bases de données et des modèles pour produire des scénarios de santé basés sur des processus explicites, et des scénarios narratifs axés sur les politiques de la santé, d’usage des terres, de développement économique ou encore de changement climatique.

« L’intégration du changement climatique et de la variabilité climatique démontre l’intérêt de développer une alerte précoce pour mieux anticiper les dynamiques locales des épidémies de maladies infectieuses, en intégrant la social-écologie de la transmission. En effet, le typhus des broussailles présente des dynamiques d’incidence chez les humains en augmentation tendancielle sur une période 2003-1018 en Thaïlande avec l’augmentation de la température moyenne mais dont les variations intra- et inter-annuelles semblent s’expliquer par la variabilité climatique ENSO (et les évènements El Nino / La Nina)» souligne Serge Morand. L’équipe a acquis de nombreuses données (incidence des maladies infectieuses, usage des terres, climat, socio-démographie, biodiversité) et poursuit aujourd’hui ses missions de terrain et travaux.« Ces trois projets interdisciplinaires ont favorisé l’établissement d’un réseau international de chercheurs en biodiversité et santé, et ont contribué aux expertises d’organisations internationales (OMS-FAO-OIE tripartite, OMS-CBD Biodiversité et Santé). Ils ont permis d’identifier les frontières disciplinaires et sectorielles, percée qui se traduit par le développement de projets d’écologie de la santé collaboratifs, co-construits avec les communautés locales et administrations nationales, dont les résultats pourront s’inscrire à moyen voire long terme ». Pour Serge Morand, le co-partage de connaissances et représentations entre les différents acteurs, et l’éthique de l’engagement des communautés seront deux aspects majeurs à prendre en compte pour une développer une social-écologie de la santé interdisciplinaire et intersectorielle.

Quelques références :

  • Bordes F et al. 2015. Habitat fragmentation alters the properties of a host-parasite network: rodents and their helminths in South-East Asia. J Animal Ecology  84: 1253–1263
  • Bordes F et al. 2016. Forecasting potential emergence of zoonotic diseases in South-East Asia: network analysis identifies key rodent hosts. J Applied Ecology 54: 691–700
  • Blasdell K. et al. 2016. Evidence of human infection by new arenaviruses endemic to Southeast Asia. eLife 5: e13135.
  • Blasdell K.R. et al. (2019). Association of rodent-borne Leptospira spp. with urban environments in Malaysian Borneo. PLoS Neglected Tropical Diseases 13(2): e0007141
  • Morand S. et al. 2019 Changing landscapes of Southeast Asia and rodent-borne diseases: decreased diversity but increased transmission risks. Ecological Applications, e01886
  • Morand S et al. 2014. Infectious diseases and their outbreaks in Asia-Pacific: biodiversity and its regulation loss matter. PLoS One 9: e90032.
  • Wangrangsimakul, T. et al. 2020. The estimated burden of scrub typhus in Thailand from national surveillance data (2003-2018) PLoS Neglected Tropical Diseases (in press)
Mis à jour le 08 avril 2020
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