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10/02/2020

Alimentation et difficultés masticatoires des seniors : le projet ALIMASSENS pour le développement de produits adaptés

Diminution du nombre de dents fonctionnelles, du flux salivaire… Lorsque l’état bucco-dentaire se détériore avec l’âge, l’acte alimentaire peut devenir complexe voire douloureux, et entrainer une modification des apports nutritionnels par le renoncement aux aliments difficiles à mâcher. En vue d’élaborer une offre alimentaire adaptée aux capacités masticatoires des seniors, l’équipe du projet ANR ALIMASSENS a étudié l’impact de différents états bucco-dentaires sur les processus en bouche, le plaisir à manger et la bio-accessibilité de nutriments. 14 matrices alimentaires ont été développées et testées sur plus de 100 personnes âgées, montrant que pour les 3 types de produits étudiés (céréaliers, laitiers et carnés) il est possible de proposer une matrice globalement appréciée et optimisée.

Lors de la mise en bouche d’un aliment, un bol alimentaire déglutissable se forme à l’aide de deux mécanismes : la mastication et la salivation. Ce processus dépend des propriétés de l’aliment mais aussi de l’individu qui le consomme, chacun ayant une trajectoire spécifique de formation du bol. Or, avec l’âge cette trajectoire n’est plus adaptée. Les chercheurs du projet ALIMASSENS ont ainsi analysé les processus de formation du bol alimentaire chez les personnes de plus de 65 ans, et caractérisé puis évalué le confort ressenti lors de l’acte alimentaire dans l’objectif de maintenir ou améliorer le plaisir à manger et les propriétés nutritionnelles de l’aliment. Trois types d’approches ont été mobilisées : in silico par modélisation mathématique, in vitro via des simulateurs de mastication et de digestion, et in vivo sur des sujets âgés.

Evaluer le « confort en bouche »

Pour mieux comprendre à quoi correspond le confort en bouche, l’équipe a mené des études qualitatives (groupes de discussion) et quantitatives (séances de dégustation) auprès de 107 séniors. 5 dimensions générales ont été définies et précisées par 25 attributs sensoriels : le confort, la texture (collant, ferme, sec), les douleurs orales, la formation du bol (humidification, fragmentation, durée, ...) et le goût (intense, amer, sucré, ...). « Cette étude souligne que certains aliments développés spécifiquement pour les séniors ou recommandés lors de problèmes bucco-dentaires (pain au lait enrichi, steak haché), ne font pas partie des aliments les plus confortables. Or un aliment évalué comme étant inconfortable par la population âgée ne sera pas consommé » indique Gilles Feron, directeur de recherche à l’Inrae et coordinateur du projet.

En parallèle, les chercheurs ont élaboré des matrices alimentaires de textures différentes en modifiant les paramètres technologiques de fabrication, enrichies en protéines ou non, puis testé celles-ci sur un panel de 100 seniors avec des capacités masticatoires et de salivation variées. Il s’agissait d’étudier notamment l’impact de la texture sur le confort en bouche, la formation du bol et la dynamique de libération des arômes. Des études in vitro et in vivo ont également été menées pour évaluer et la digestibilité des matrices en termes de nutriments (acides aminés, calcium, protéines, fer).

Le rôle majeur de la salivation et de la dentition

Les résultats mettent en évidence le rôle de la salivation et de la dentition dans les mécanismes en bouche. Le confort et le plaisir dépendent de la matrice. Pour les produits carnés, le confort dépendait de la facilité à former un bol alimentaire et du caractère fibreux de la matrice, indépendamment de la dentition et de la salivation. « Plus le produit est difficile à mastiquer, à humidifier, plus il est jugé sec et dur, et moins il est confortable. A l’inverse, pour les produits céréaliers (brioche et génoise), le confort en bouche était principalement expliqué par la production de salive qui permet l’hydratation du produit et participe donc directement aux propriétés du bol alimentaire qui se forme, en particulier sa viscosité. Or plus le bol est visqueux, moins le produit est jugé confortable » précise Gilles Feron.

Vers une offre alimentaire adaptée

Sur le plan nutritionnel, il a été montré que la texture des fromages modèles du projet n’a pas influencé la bio-accessibilité des acides aminés et du calcium. Pour les produits céréaliers, la viscosité du bol n’a eu aucune influence sur la digestibilité des protéines rajoutées dans la matrice. Concernant les produits carnés, la déficience de mastication n’altère pas la digestibilité des matrices de type effiloché, ces produits étant ainsi potentiellement adaptés aux capacités orales des seniors. Les chercheurs ont cependant montré que chez l’adulte, une mastication déficiente se traduit par une perte significative de digestibilité des protéines comparable à celle observée chez le sénior, pour certains produits carnés. 

« Pour chaque type de matrice, il a été possible d’élaborer des produits globalement bien appréciés par le sujet âgé, avec des notes de confort et de plaisir à manger élevées et donc bien adaptées aux capacités orales (mastication et salivation) du sujet âgé ». Ainsi, trois des quatre produits carnés du projet (les 2 effilochés et le haché) ont été jugés globalement confortables, les matrices de poulet étant jugées encore plus confortables que l’effiloché de bœuf.

Enfin, une étude d’économie expérimentale sur le consentement à payer du sujet âgé vis-à-vis des produits céréaliers et laitiers du projet, en fonction du ou des message(s) délivré(s) sur le produit, montre qu’il est difficile de compenser le « coût sensoriel », pouvant être lié à l’enrichissement en protéine, par l’information nutritionnelle, et ce pour quel que soit le type de matrice. « Ce résultat important montre clairement que dans le cadre de l’élaboration d’une offre alimentaire à visée nutritionnelle et qui doit être choisie, la qualité nutritionnelle du produit ne doit pas être augmentée au détriment de sa qualité sensorielle » souligne Gilles Feron.

Partenariats

Les partenaires du projet

Coordonné par l’INRAE-CSGA, le projet AlimaSSenS (2014 – 2019) associe 9 partenaires académiques : CHU Dijon, laboratoire CROC, INRAE-UNH, EREN-U, INRAE-ALISS, INRAE-STLO, INRAE-BIA, INRAE-QUAPA et ONIRIS-UCS ; 1 centre technique : Aérial (Strasbourg) et 4 partenaires industriels : Lactalis, Terrena, Solina et Cerelab. Il est labellisé par les pôles de compétitivité Vitagora et Valorial. Il mobilise des expertises en odontologie, physiologie, évaluation sensorielle, comportement du consommateur, nutrition, épidémiologie, fouille de données, procédés alimentaires, mécanique, sociologie et économie.

Mis à jour le 11 février 2020
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