Actu
14/10/2009

ANR : "Parvenir à une forte synergie avec les alliances qui se mettent en place dans la recherche" (Michel Griffon, DG adjoint)

Les appels à projets non thématiques de l'ANR (Agence nationale de la recherche) - "blanc" et "jeunes chercheuses-jeunes chercheurs", seront ouverts le 30 octobre 2009. A cette occasion, Michel Griffon, directeur général adjoint de l'agence, présente sa stratégie de programmation dans un entretien à AEF. Il assure que l'ANR se veut une "machine à concerter" et qu'elle veut travailler étroitement avec les alliances en cours de constitution entre les organismes de recherche. Il indique que l'ANR a dû se réorganiser pour faire face à la montée en puissance des programmes "blancs" et rappelle qu'elle ne bénéficie pas encore des moyens qu'avaient prévu de lui allouer ses concepteurs.

AEF : Quels sont les grands principes de la programmation de l'ANR ?

Michel Griffon : Nous sommes une "machine à consulter". Nous interrogeons notamment tous les ans, par courrier, les académies (des sciences, de la technologie...), toutes les universités, tous les organismes de recherche, les grandes entreprises, les pôles de compétitivité... Nous leur demandons ce qui leur semble stratégique en matière de recherche pour l'avenir. Nous recevons environ 150 réponses présentant de nombreuses idées. Les informations recueillies sont ensuite examinées par nos huit comités scientifiques sectoriels, qui rassemblent 201 scientifiques. Ces comités sont mal connus. On nous reproche parfois à tort de ne pas avoir de conseil scientifique. Pourtant ces huit comités ont un rôle clé, puisque leur action se situe à la convergence des informations qui remontent des opérateurs et des choix gouvernementaux. Par ailleurs, tous les trois ans nous réalisons un exercice encore plus approfondi de prospective. Cette année, cela tombe bien puisque la SNRI (Stratégie nationale de recherche et d'innovation) va nous servir de base (AEF n°117085).

Notre réflexion s'appuie aussi sur des rencontres avec les grandes administrations, sur des ateliers de réflexion prospective sur des sujets susceptibles de déboucher sur un appel à projets, et sur les bilans annuels de chaque programme que nous avons lancé. Comme dans tous les grands pays industrialisés, nous sommes une agence de financement chargée de redistribuer les soutiens financiers en fonction des priorités de recherche.

AEF : Quel est l'impact de la mise en place d'alliances entre organismes de recherche sur votre activité ?

Michel Griffon : Les alliances sont en train de se créer et de monter en puissance. Nous espérons parvenir à une forte synergie. Les alliances représentant en moyenne 93 % du financement public de la recherche et l'ANR seulement 7 %, il va être très important que nous connaissions les orientations ou les inflexions qu'elles vont choisir. Nous allons donc participer à leurs réunions concernant les choix de priorités et par réciprocité, elles seront représentées dans les comités scientifiques de l'ANR. Mais il faut souligner que, depuis sa création, l'agence associe pleinement les organismes aux choix de sa programmation. Dans une première version, l'ANR était un GIP (groupement d'intérêt public) et les organismes étaient représentés au conseil d'administration. Puis, cela a changé lorsque l'ANR est devenue EPA (établissement public à caractère administratif), et nous compensons leur absence au conseil d'administration par une forte écoute et une représentation dans nos instances.

AEF : Mais vos rôles ne vont-ils pas se chevaucher ?

Michel Griffon : Au contraire, nous avons deux métiers différents et complémentaires. Les alliances débattent des grandes infrastructures de recherche, organisent la pensée à long terme et favorisent les idées émergentes qui sont celles du futur. Notre rôle est d'accélérer la recherche sur quelques priorités déterminées en fonction des demandes sociétales et des politiques publiques d'une part, et des enjeux scientifiques et technologiques d'autre part. Le problème de la recherche française était de pouvoir sortir de la récurrence des financements qui conduisait à un manque de flexibilité pour distribuer les crédits. Tout au contraire, le budget de l'ANR est flexible ; il peut être facilement réorienté en fonction des priorités stratégiques.

AEF : Pourquoi avoir publié une étude sur le devenir des chercheurs non permanents recrutés dans le cadre de projets ANR (AEF n°118768) ?

Michel Griffon : Car c'est une question importante, soulevée régulièrement par les syndicats et qui nous tient à coeur. Les projets lancés en 2005 sont arrivés à terme et il est possible d'en faire le bilan. Il semblerait que la situation française en matière d'emploi de jeunes scientifiques se rapproche de celle des autres pays européens ou d'Amérique du Nord. Après une thèse, les jeunes chercheurs enchaînent des post-doctorats et c'est à partir de 35 ans qu'ils aboutissent à un emploi stable.

Ce que l'on peut regretter en France, c'est que les post-doctorats sont parfois trop courts. Dans certains projets qui nous sont soumis, on nous demande d'en financer pour six mois ! Il nous semble au contraire que les contrats plus longs sont les plus valorisables auprès des futurs employeurs. Une chose nous semble claire : les doctorants et post-doctorants travaillant sur des projets ANR sont assurés de travailler sur des sujets de grande qualité scientifique et de haute importance pour la société. Cela devrait théoriquement développer leur employabilité. On observe sur les cas que nous avons étudiés que la très grande majorité des post-doctorants recrutés en 2005 sur un projet financé par l'ANR bénéficie actuellement d'un emploi.

AEF : Allez-vous tiré un bilan plus complet des programmes qui se sont achevés ?

Michel Griffon : Tout à fait. Nous organisons une série de colloques pour tirer le bilan scientifique des programmes lancés en 2005. Nous avons noué un partenariat avec la Cité des sciences qui accueillera une partie d'entre eux. Nous organiserons un colloque sur les NTE (nouvelles technologies de l'énergie) les 19 et 20 novembre 2009, la biosanté les 26 et 27 novembre 2009 et les Stic (sciences et technologies de l'information et de la communication) du 5 au 7 janvier 2010. Nous voulons en faire des temps d'échanges pour les communautés scientifiques, valoriser nos porteurs de projets. Pour les chercheurs, ce doit être aussi une occasion supplémentaire de s'informer sur toutes les nouveautés intervenues dans leurs domaines.

AEF : L'ANR a-t-elle des besoins financiers supplémentaires ?

Michel Griffon : Notre budget est déterminé par le gouvernement, comme tous les organismes publics. Nous avons plusieurs tutelles, le ministère en charge de la Recherche et le ministère en charge du Budget. Et notre budget est important. Néanmoins, il faut savoir que les concepteurs de l'ANR l'avaient calibrée pour qu'elle fonctionne avec 1,5 milliard d'euros en régime de croisière. Nous sommes encore loin de cet objectif budgétaire, néanmoins les choses évoluent, nous sommes actuellement en train de recruter 20 chargés de mission pour le "suivi scientifique", ce qui marque une forte montée en puissance de ce volet essentiel de notre activité.

AEF : Que change le fait d'augmenter la part donnée au programme "blanc" ?

Michel Griffon : La décision de passer à 50 % de programmation non thématique dès l'appel à projets qui sera lancé fin octobre 2009, aboutit logiquement à "comprimer" les programmes thématiques. Cela demande une réorganisation de l'agence, sous une forme plus matricielle, car le "blanc" touche à tous les domaines. Nos départements thématiques doivent donc connaître et comprendre ce qui se passe dans le programme blanc pour que nous maintenions une cohérence dans nos choix. Nous avons aussi dû augmenter le nombre de nos comités de sélection, puisque nous prévoyons de recevoir 3 000 projets au titre du blanc, contre 1 500 dans les formules antérieures. Il nous faudra les traiter avec sérieux et équité, grâce à des comités larges, représentant un grand nombre de thématiques et de domaines scientifiques.

AEF : Votre fort taux de sélectivité n'engendre-t-il pas un certain conformisme de la part des comités de sélection ?

Michel Griffon : C'est peut être notre problème principal. Les comités d'évaluation sont très soucieux de financer des projets pour lesquels existe une certaine sécurité de mise en oeuvre et de résultat. Ils tendent donc à ne pas inclure les projets trop audacieux ou risqués. Des études montrent que plus le taux de sélection est sévère, plus cela favorise le conformisme. C'est quand les taux de sélection sont plus larges qu'apparaissent les projets risqués.

L'ANR s'interroge sur la manière de récompenser le risque dans les critères de sélection, sur la façon d'inciter les membres des comités à prendre plus de risques. L'une des solutions possibles serait de constituer une "boîte" de financement pour les projets risqués. Une autre possibilité, que nous expérimentons en robotique, est de lancer des appels à projets très ciblés qui mettent en concurrence des équipes sur une question très précise à laquelle personne n'oserait spontanément s'attaquer.

 

Avec l'aimable autorisation de l'aef


Théo Haberbusch

Dépêche n°121069
Paris, Lundi 12 octobre 2009


 

Mis à jour le 19 mars 2019
Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter