Biotechnologies et bioressources pour la valorisation des écosystèmes marins planctoniques

Le programme OCEANOMICS (2013 - 2021) - wOrld oCEAN biOressources, biotechnologies, and Earth-systeM servICes - visait à (i) exploiter et analyser les échantillons et données collectés lors de la première expédition circum-globale de la goélette Tara sur l'écosystème planctonique planétaire, la mission Tara Oceans (2009-2012) ; (ii) rassembler la nouvelle connaissance dans des bases de données  publiques ouvertes à la communauté internationale, (iii) promouvoir le transfert de la connaissance du plancton et du matériel biologique vers leur exploitation durable, et (iv) produire des outils légaux et éducatifs sur le plancton et les écosystèmes planctoniques. La tâche n'était pas simple car, il y a 10 ans, la connaissance du plancton était limitée par les contraintes technologiques et logistiques d’exploration holistique du vivant océanique. 

A partir des >40 000 échantillons de plancton récoltés sur la totalité des provinces océaniques et du spectre du vivant des virus aux animaux, OCEANOMICS a permis la construction de la plus grande base de données publique sur la diversité d’un biome à l'échelle planétaire, avec >250 milliards de séquences ADN et >7 millions d’images de plancton obtenues à partir de >8500 communautés planctoniques couvrant 10 ordres de grandeur de taille, prélevées sur 210 sites contrastés de l'océan global et 3 profondeurs jusque dans les couches mésopélagiques sans lumière. Les données OCEANOMICS ont été assemblées, triées, analysées, et mises à disposition de tous, essentiellement à travers des espaces adaptés dans les plateformes web européennes existantes (ENA, EuBI, PANGAEA), mais aussi par la création de nouveaux outils internet d’exploration et partage de l’information (e.g. EcoTaxa, OBA, etc.). 

A travers des analyses publiées dans 180 articles scientifiques, le consortium OCEANOMICS a généré une première vision globale et homogène de: (i) la biodiversité du plancton à l'échelle planétaire,  (ii)  l’organisation de cette biodiversité en fonction des paramètres environnementaux biotiques et abiotiques locaux et de la dynamique des masses d’eau (seascape), et (iii) les relations entre la structure et la dynamique de la biodiversité et des fonctions écosystémiques clés telles que la pompe à carbone. Ces résultats, pionnier dans leur dimension systémique globale, ont été notamment publiés en 2015 dans 6 articles d’un numéro spécial de la revue Science, suivis d’une 15ène de publications dans Nature, Cell, PNAS, et faisant la couverture d’une dizaine de ces revues. En plus de la découverte d’une diversité insoupçonnée d'espèces, de gènes, et de fonctions nouvelles dans l'océan, OCEANOMICS a reconstruit un interactome du plancton planétaire, permettant d’explorer les relations multi-échelles, biotiques et abiotiques, structurant la biodiversité du microbiome marin, et comment ces relations génèrent les grandes fonctions écosystémiques, et se transforment dans les gradients environnementaux de l'anthropocène. Les bases de données ‘Tara Oceans/OCEANOMICS’ publiques sont aussi devenues des standards pour les analyses du plancton, et >250 publications ont été produites par la communauté internationale, dont plusieurs dans les meilleures revues (Science, Nature, etc).

Sur la base des nouvelles connaissances fondamentales des écosystèmes planctoniques, le consortium a développé un axe de recherche appliquée, visant à cribler les souches de plancton préservées au sein de la ‘Roscoff Culture Collection’ (RCC) pour leurs métabolites secondaires et lipides, avec des applications potentielles en médecine, pharmaceutique, et dermocosmétique. Production, criblages métaboliques et lipidiques, et tests de bioactivités (anticancéreuse et antimicrobienne) ont été réalisés sur une large gamme phylogénétique de souches planctoniques. Un pipeline de valorisation de composés issus d'espèces planctoniques est aujourd’hui mis en place et fonctionnel. Parmi les 60 extraits étudiés dans le cadre du projet, une dizaine constitue une source prometteuse de composés actifs dans différentes pathologies tumorales. Ces activités ont catalysé des collaborations public-privé consolidant un écosystème de valorisation des molécules marines, avec notamment la création d’une entreprise, SeaBeLife, et le dépôt de 7 demandes de brevets dans le domaine des glycérolipides. D’autre part, OCEANOMICS a travaillé sur les questions juridiques liées à un accès aux ressources génétiques de l’océan répondant aux exigences de la Convention sur la Biodiversité et du Protocole de Nagoya. Un rapport a été élaboré, et a servi de référence au-delà d’OCEANOMICS pour plusieurs projets sur la biodiversité marine en France et en Europe.

L’approche holistique innovatrice du projet, à la fois au niveau expérimental et analytique, a été adaptée et appliquée à d'autres expéditions 'large-échelle' de la goélette Tara:  Tara Pacific (2016-2018) sur l'écosystème corallien, Tara Méditerranée (2014)etMicroplastics (2019) sur la plastisphère, et aujourd’hui ‘Mission Microbiomes’ (2020 - 2022) sur l'écosystème planctonique à travers les gradients côtiers de l’Atlantique Sud.

Les résultats exceptionnels d’OCEANOMICS ont conduit le CNRS à proposer aux coordinateurs du projet la création d’une Fédération de Recherche. Ainsi, la FR2022 GOSEE (Global Ocean Systems Ecology & Evolution) a vu le jour à l’automne 2018, en séance à l'Académie des Sciences, avec à sa direction trois coordinateurs d’OCEANOMICS (C. de Vargas, directeur, Chris Bowler et Patrick Wincker, vice-directeurs). La FR GOSEE réunit aujourd’hui 18 tutelles, dont les principales sont le CNRS, le CEA, PSL, SU, ainsi que l’EMBL et la Fondation Tara Ocean. Le programme GOSEE s’inscrit dans la stricte continuité du projet Tara Oceans/OCEANOMICS, avec pour but général de poursuivre l’exploration holistique des écosystèmes marins en vue d’une compréhension des mécanismes fondamentaux d’auto-organisation du vivant dans l’espace et le temps, à l'échelle écosystémique, et pour l'intégration de cette connaissance dans les modèles du système Terre.  

Enfin, les coordinateurs d’OCEANOMICS, en se basant sur les résultats du projet, ont développé plusieurs programmes d’envergure pour compléter la mesure de l'écosystème planctonique sur des échelles inédites, comme par exemple au niveau du bassin Atlantique sur la méso-échelle avec le programme Européen AtlantEco (2020-2024, 15 Million d’Euros) ; sur l’échelle planétaire et à long-terme grâce à l'océanographie frugale coopérative du programme international ‘Plankton Planet’; sur les gradient Terre-Mer et des échelles spatio-temporelles fines avec les programmes Européens TREC (2023-2024, 15 Millions d’Euros) et BIOcean5D (2022-2026, 18 Millions d’Euros). L’ensemble de ces efforts menés par un consortium structuré sur le long terme contribuera au leadership européen sur la cohabitation durable des sociétés humaines avec la biodiversité marine.