Cartographies non-aristotéliciennes des pratiques de pêche lagonaire à Moorea – HITI
L’île de Moorea, située dans l’archipel de la Société de Polynésie française (PF), a vu sa population doubler entre 1983 et 2002. Cette explosion démographique a généré une tension considérable sur le littoral et le lagon qui s’est traduite par une intensification des activités de pêche, des dégradations physiques (remblais, extraction de matériaux coralliens pour la construction d’infrastructures, etc.) et une augmentation des rejets de polluants (eaux usées, pesticides, etc.). Face à cette pression anthropique, la commune de Moorea-Maiao a instauré en 2004 un Plan de Gestion de l’Espace Maritime (PGEM) composé principalement d’Aires Marines Protégées (AMP) et de Zones Règlementées de Pêche (ZRP). Seize ans après son officialisation, le PGEM présente un bilan mitigé. Si les résultats demeurent encourageants sur le plan écologique, il en est en revanche tout autrement d’un point de vue sociétal ; les zonages et leur règlementation n'emportant pas l’adhésion des pêcheurs lagonaires. Cet échec s’explique notamment par l’inadéquation cognitive et culturelle du mode de représentation graphique des AMP et des ZRP. La pêche lagonaire est effectivement bien plus qu’un simple usage du lagon dont la représentation par des zonages aux délimitations fixes se suffirait à elle-même. Il s’agit d’une pratique ancestrale rattachée à un contexte socioculturel singulier qui, contrairement aux représentations mentales occidentales, se caractérise par un triple continuum entre nature et culture, terre et mer, et humains et non-humains. Exploratoire et à visée descriptive, le projet HITI se fixe donc pour objectif de produire des supports cartographiques opérationnels (c.-à-d. exploitables par le plus grand nombre) qui rendent mieux compte du vécu des pêcheurs lagonaires de Moorea à travers la prise en considération de ce principe culturel. Baptisées « non-aristotéliciennes », ces cartes qui transcendent le tiers exclu aristotélicien comportent trois éléments de base : (1) les marqueurs physiques qui structurent la représentation mentale collective du lagon ; (2) les affectivités spatiales (c.-à-d. les rapports affectifs qu’entretiennent les pêcheurs avec certaines portions du lagon) ; (3) les géosymboles (c.-à-d. les lieux reconnus collectivement par la communauté). Pour produire ces cartes, trois expérimentations impliquant 60 pêcheurs seront menées séquentiellement. Dans un premier temps, les représentations mentales spatiales seront captées grâce à des dessins à main levée qui seront analysés individuellement puis collectivement. Les affectivités spatiales seront appréhendées dans un deuxième temps à l’aide de récits de vie qui seront spatialisés sous la forme de graphes individuels. La troisième expérimentation consistera alors en une herméneutique de ces supports afin de compléter les propos recueillis en amont. Générées depuis un Système d’Information Géographique exploitant la théorie des sous-ensembles flous, les cartographies non-aristotéliciennes des pratiques de pêche lagonaires à Moorea compileront in fine l’ensemble des informations obtenues lors de ces trois expérimentations. Celles-ci fourniront aux politiques des clés d’interprétation tangibles du vécu des pêcheurs de l’île qui pourront être exploitées pour améliorer le PGEM de Moorea. Elles serviront également d’outil de valorisation et de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel polynésien qu’est la pêche lagonaire en PF.
Coordination du projet
Teriitutea QUESNOT (LITTORAL, ENVIRONNEMENT, TELEDETECTION, GEOMATIQUE)
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Partenaire
CRIOBE Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement
LETG LITTORAL, ENVIRONNEMENT, TELEDETECTION, GEOMATIQUE
Aide de l'ANR 220 124 euros
Début et durée du projet scientifique :
décembre 2021
- 48 Mois