Filiations, Identités, Altérités Médiévales : Expériences sociales et représentations de la parenté dans le cas des filiations « à défaut » – FilIAM
Expériences sociales et représentations de la parenté dans le cas des filiations « à défaut »
Le programme étudie les incidences de l’élaboration normative de différenciations de filiations liées à la bâtardise dans l’Europe latine (XIe-XVes.). Un panel d’incapacités juridiques et d’injonctions sociales s’imposent aux fils et filles nés en dehors d’un mariage légitime. Cette mise en tension de la parenté a pu générer des dégradations de filiations mais aussi des stratégies d’affiliations subsidiaires qui seront confrontées à logiques à l’œuvre en cas incapacité des corps infirmes.
Ce que la bastardise médiévale fait à la conception occidentale de la parenté
Des incapacités ont été imposées aux bâtards par des producteurs de normes canoniques et coutumières qui ont toutefois veillé à assurer aussi des tempéraments à ces discriminations. Cette construction sociale a conditionné des rapports de parenté en tension entre devoirs relevant de la loi de nature (« nourrir ») et droits positifs à faire-famille (hériter et transmettre, trouver sa place dans une opération généalogique d’ensemble). Cette recherche interroge les formes de transmission et d’assignation de marqueurs identitaires d’un statut dégradé par une « macule de géniture », un vicium generationis ou un defectus natalis. Ces tensions ont pu générer des formes de déni ou de dégradation des filiations mais aussi des stratégies d’affiliations subsidiaires (nourricières, artificialisées). Il s’agit aussi d’étudier les circulations des « nourris » et « donnés » au regard des spécificités de l’adoption médiévale, de l’oblation, de l’assistance charitable, du fosterage, pour faire apparaître la spécificité du modèle à l’œuvre.<br />Afin de saisir la portée des représentations associées aux formes de la bâtardise ainsi que des discours élaborés pour signifier les recompositions de la filiation, afin de mieux comprendre in fine ce que la bâtardise médiévale a fait à la parenté occidentale, il s’agit d’optimiser les conditions de réalisation d’outils de traitement et d’analyses de productions normatives et d’archives de la pratique pour identifier les champs sémantiques des dégradations d’une filiation. Au-delà la seule stigmatisation, la bâtardise apparaît comme un observatoire des rapports des sociétés aux enjeux de parenté: comment s’articulent dans l’outillage de la pensée occidentale consanguinitas, propinquitas, parenté de substance, parenté pratique et « concarnalité » fondée sur l’una caro du mariage-sacrement.
Au cœur du projet s’impose l’élaboration collective d’une méthodologie pour créer, en investissant pleinement les problématiques épistémologiques des humanités numériques, les outils intellectuels et techniques qui rendront signifiants les signaux faibles de sources très dispersées : ils s’agit d’identifier les bâtards, les replacer dans leur parenté (cognatique), reconstituer des trajectoires individuelles, non pas tant pour constituer une base prosopographique des bâtards médiévaux que pour saisir les marqueurs sémantiques (spécifiques ou non) de discrimination et d’inclusion subsidiaire au corps social. Sont à élaborer et alimenter des outils de collecte, dépôt, traitement et valorisation des données (remployées par requête dans d’autres bases, saisie manuelle ou export selon les opportunités techniques et juridiques ; données produites par des actions en archives ou sur une documentation spécifique). Est à l’étude la mise en œuvre complémentaire d’une base de données relationnelle ainsi que l’encodage en xml (selon les recommandations du TEI) de documents signifiants pour saisir le fonctionnement de réseaux sémantiques. Il conviendra enfin d’articuler ces outils avec les opportunités d’éditorialisation proposées par la TGIR HumaNum. Afin d’apprécier la spécificité de la construction sociale de la bâtardise, il convient de comparer le « script » d’incapacité juridique avec celui de l’impairment, et de la disability des « corps empêchés » : en relais des ateliers de travail opérationnels et des rencontres scientifiques, un séminaire sera organisé pour accompagner la recherche doctorale financée sur le sujet : Vitium, defectus, macula. Le corps « incapable » dans la pensée juridique de l’Occident médiéval latin (XIIe-XVe s.). A partir de questionnements médiévistiques, il permettra de structurer un dialogue méthodologique et épistémologique ouvert aux autres périodes historiques et aux autres sciences humaines et sociales.
A ce stade du projet, notons qu'est en cours l'élaboration de protocoles épistémologiques et méthodologiques pour appréhender les sources, inscrites dans leur spécificité de production, de tradition, de conservation et d’interrelation. Les usages tendanciels des notions et descripteurs qui apparaîssent selon les époques et les typologies documentaires sont à inscrire dans des traditions intellectuelles (droit romain, droit canonique, médecine, philosophie naturelle, etc.).
Adam Mirbeau a commencé en avril 2021 une recherche doctorale. En approfondissant l’étude des matériaux documentaires juridiques replacés dans les trajectoires culturelles de l’élaboration de la pensée scolastique, et en mobilisant une grille de lecture « incorporée » des sociétés chrétiennes qui ont articulé Corps et Ame (J. Baschet), cette thèse questionne les modes d’appréhension et de représentation du corps dans la pensée canonique médiévale au prisme des « défauts », « tare », « souillure », « difformité », « amputation », « manque » qui peuvent l’affecter (Liber extra, I, tit. 20) ou des outrages qui peuvent lui être volontairement infligés (dans le châtiment ou la pénitence publique). La génération viciée de l’illégitime empêche l’accès au sacerdoce, comme le corps vicié du clerc qui le rendrait fonctionnellement inapte au service liturgique. Mais les enjeux sont-ils comparables ? Il faudra de mobiliser les ressources de la sémantique historique pour saisir ce que « traduisent » les langages juridiques et questionner les usages et enjeux discursifs à décrire des faits sociaux en mobilisant les termes de macula, vicium et defectus (entre description générique et qualification juridique).
En lien avec cette thèse, le séminaire Corps Empêchés a permis de structurer un premier réseau national et international, fédérant notamment les masterants, doctorants et jeunes docteurs spécialisés sur les questions des handicaps, des rapports aux incapacités juridiques et corporelles au Moyen Age.
La normalisation de la stigmatisation du bâtard est consubstantielle de la fixation des cadres intellectuels pour penser la parenté occidentale au regard d'un projet politique d'injonctions exogamiques et de la promotion du primat de l'esprit sur la chair (J. Baschet), mais également d'affirmation de la puissance de l'una caro dans le mariage sacrement (L. Barry, E. Porqueres I Géné). Les bâtards, nés hors mariage légitime, sont-ils alors exclus d’une pensée de parenté de substance qui réserve un rapport de « mêmeté » aux seuls « héritiers siens » (Y. Thomas) ? Pourtant le jus sanguinis tel qu’élaboré par la doctrine canonique classique finit par y réinscrire le bâtard à rebours de la pensée des jurisconsultes de l’Empire (Ch. De Miramon) : droits aux alimenta par « bienveillance canonique » (C. Avignon), en conformité avec le droit naturel, inclusion des bâtards dans le groupe de ceux que l’empêchement de consanguinitas exclut du mariage (F. Roumy). Et pourtant une forme d’altérité fondamentale différencie bien le bâtard du reste de la descendance en lui enjoignant de constituer sa propre « souche ». Avant d'élargir aux sociétés méditérannéennes la réflexion, l'enjeu est de mieux saisir le fonctionnement de la parenté occidentale et de questionner la matrice médiévale. Des manifestations scientifiques sont programmées pour permettre de partager des objets théoriques, épistémologiques et de structurer les analyses des différents dossiers documentaires sur les hiérarchisations de filiation, les seuils d’affiliation empêchée ou dégradée. Le projet défend aussi la légitimité de l’expertise médiévistique dans les débats contemporains sur la parenté occidentale mais aussi la valorisation et la médiation scientifique auprès des publics non-universitaires: le décentrement médiéval permet de dépassionner les termes du débat, d’en éprouver la profonde historicité de la conception et l’activation des liens du sang comme leur part d’imaginaire construit.
Les données collectées et produites, préalables à une analyse des hiérarchisations de filiation, des seuils d’affiliation empêchée ou dégradée, seront éditorialisées. Les résultats seront également valorisés par des publications scientifiques. La préférence est donnée à l’organisation de sessions de travail en ateliers thématiques afin de problématiser et documenter une réflexion de synthèse pour appréhender la question des incidences des constructions juridiques, sociales et culturelles de l’altérité dans le processus de formations des identités, collectives et individuelles à l’époque médiévale. Cet ouvrage collectif permettrait de replacer la question des différenciations des filiations et des phénomènes de vulnérabilisation des individus (entre constructions normatives et expériences sociales) dans le débat plus large de l’histoire des constructions des identités collectives et individuelles et le fonctionnement de la parenté occidentale. Les dynamiques de réflexion interdisciplinaires rendues possibles par le séminaire filé permettront d’enrichir également les problématiques sur le corps, la chair et les incapacités en société chrétienne.
Les travaux sur les oblats n’avaient pas vocation à questionner la circulation particulière de ces autres « donnés » que sont les « nourris » remis à un père putatif, naturel, ou confiés à une institution charitable. Le « don » de ces enfants à des tiers, entre exclusion symbolique du champ de la parenté charnelle et inclusion sociale et « nourricière », mérite également une étude de synthèse qui permettra de saisir les incidences de ces formes de parentalités subsidiaires dans la pensée d’une parenté artificialisée, confrontées aux autres modes médiévaux de mise en circulation d’enfants (par adoption, fosterage, abandon et recueil par des institutions charitables). Cette publication viendra en contre-point de la précédente.
Filiations, Identités, Altérités Médiévales : Expériences sociales et représentations de la parenté dans le cas des filiations « à défaut »
La manière dont les médiévaux pensent, éprouvent et se représentent la parenté dans l’Occident latin (XIe-mi XVIe s.) est au cœur du projet Fil.IAM. C. Avignon coordonne un programme de recherches sur les incidences sociales et culturelles de la hiérarchisation des filiations résultant d’un « défaut de naissance ». Créateur d’incapacités juridiques, ce defectus canonique stigmatise d’une macule de bâtardise les enfants illégitimes. Ces tension génèrent des processus de déni ou de dégradation des filiations mais aussi des stratégies d’affiliations subsidiaires (nourricières, artificialisées) qui seront confrontés aux logiques, motifs et enjeux d’exclusions et de vulnérabilité dans le cas d’autres formes de filiations dégradées en lien avec les disabilties de l’infirmité ou de la maladie. Le programme permettra d’assurer un traitement concerté et optimisé des signaux faibles d’une documentation éparse, tout en renouvelant les grilles de lecture de la bâtardise médiévale par la mise en œuvre d’une comparaison entre expressions et représentations des incapacités juridiques et expressions et représentations des infirmités du corps.
Une équipe de collaborateurs internationaux mettent au service du programme leur expertise en humanités numériques, leur expérience des enjeux épistémologiques et techniques, leur maîtrise de champs de recherches et de corpus documentaires complémentaires (thématiques, juridictionnels, chronologiques) pour permettre d’interroger les notions de transmission et de circulation des marqueurs identitaires et appréhender les processus de stigmatisation et d’individuation, et pour ré-interroger concept et expériences de filiation dans une approche interdisciplinaire. L’objectif est d’assurer la collecte et le traitement de la documentation évoquant des filiations hiérarchisées, de mobiliser des discours symboliques sur les rapports de parenté, afin d’apprécier ce que la bâtardise fait à la parenté occidentale. Il s’agit de construire un outil d’analyse des productions discursives normatives et des archives de la pratique pour saisir et traiter les champs sémantiques à l’œuvre pour dire, signifier ou connoter la dégradation d’une filiation. Afin d’apprécier la spécificité de la construction sociale de la bâtardise, au regard de l’impairment, et de la disability des corps empêchés, un contrat doctoral est financé pour accompagner une recherche sur le sujet : « Défauts, Incapacités, Macule. Discours et représentations des corps empêchés en société chrétienne (XIIe-XVe s.). » Les dépouillements de corpus documentaires et leurs valorisations dans la plateforme constituent le préalable à une analyse des hiérarchisations de filiation, des seuils d’affiliation empêchée ou dégradée. Les résultats seront questionnés dans le cadre de rencontres scientifiques qui mettront en perspective analyse historienne et problématiques juridiques, littéraires et anthropologiques sur les expressions de la filiation dans les sociétés traditionnelles.
Le projet défend aussi la légitimité de l’expertise médiévistique dans les débats contemporains sur la parenté occidentale et les formats de parentalité, en historicisant les tensions à l’œuvre (et leurs forces respectives) entre naturalisation de la parenté et construction sociale, entre identité et altérité. Le décentrement médiéval permet de dépassionner les termes du débat, d’en éprouver la profonde historicité, de saisir les continuités, seuils ou ruptures dans la conception et l’activation des liens du sang comme leur part d’imaginaire construit dans la hiérarchisation normative et symbolique des filiations. Il permettra d’accompagner C. Avignon dans un projet de dépôt d’HDR, puis d’ERC.
Coordinateur du projet
Madame Carole AVIGNON (Temps, Mondes, Sociétés)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
TEMOS Temps, Mondes, Sociétés
Aide de l'ANR 168 739 euros
Début et durée du projet scientifique :
décembre 2019
- 48 Mois
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