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Accès à l'ambiguïté perceptive: mesures comportementales, métacognitives et physiologiques de la perception en situation d'incertitude – AMBISENSE

AMBISENSE

Sur l'accès à l'ambiguïté perceptive : mesures comportementales, métacognitives et physiologiques de la perception en situation d'incertitude

But du programme

Le but de notre programme est d'étudier la nature et les conditions d'accès à l'ambiguïté d’un stimulus perceptif donné (auditif en particulier). Nous examinerons trois facteurs principaux : (i) les caractéristiques du stimulus ; (ii) son contexte ; (iii) l'expertise des observateurs. Nous collecterons également différentes mesures de l'accès à l'ambiguïté : performance comportementale ; jugements explicites de confiance ; corrélats physiologiques implicites de la confiance tels que la dilatation des pupilles et les temps de réaction. Nous utiliserons ce cadre général pour atteindre trois objectifs principaux. Le premier concerne la résolution de l'ambiguïté selon les percepts «polaires« vs. «vagues« : les percepts polaires montrent peu ou pas d'accès à l'ambiguïté, contrairement aux percepts «vagues«, et la relation entre les deux reste un problème. Le deuxième objectif concerne l'effet de l'expertise sur l'accès à l'ambiguïté, pour tenir compte de la variabilité interindividuelle. Notre troisième objectif porte enfin sur l'entraînement, afin de tester les effets de l'apprentissage non seulement sur la perception mais aussi sur la métacognition.

La perception de notre environnement s'accompagne généralement d'un sentiment d'incertitude ou de certitude quant à ce que nous percevons. Dans certains cas, cependant, des stimuli objectivement ambigus ne sont pas reconnus comme tels, ce qui soulève la question de savoir si l'incertitude n'est pas du tout traitée dans ces cas-là, ou si, au contraire, les signaux d'incertitude peuvent être calculés mais inaccessibles à la conscience. Notre étude teste des participants qui entendent des intervalles constitués de tons de Shepard, incluant le triton de Shepard qui peut être entendu comme un intervalle ascendant ou descendant selon les contextes. Les participants doivent catégoriser les intervalles, fournir des jugements de confiance, et réaliser la tâche appareillés par un oculomètre qui mesure la dilatation de la pupille.

Dans deux expériences, les réponses comportementales ont montré que les auditeurs ne pouvaient pas accéder explicitement à l'ambiguïté de ce stimulus, même si leurs réponses variaient d'un essai à l'autre. Cependant, la dilatation de la pupille est plus importante pour les cas les plus ambigus. L'ambiguïté du stimulus pour chaque auditeur est notamment indexée par l'entropie des réponses comportementales, et cette entropie constitue également un prédicteur significatif de la taille de la pupille. En particulier, l'entropie explique la variation supplémentaire de la taille de la pupille indépendamment du jugement explicite de confiance dans la situation spécifique que nous avons étudiée, dans laquelle les deux mesures étaient découplées. Nos données suggèrent donc que l'ambiguïté du stimulus est implicitement représentée dans le cerveau, même sans conscience explicite de cette ambiguïté.

Certains auteurs avant nous ont émis l'hypothèse qu'au lieu de révéler les mécanismes impliqués dans la résolution de l'ambiguïté, la dilatation de la pupille pourrait plutôt refléter la conséquence de cette résolution, comme la prise de conscience d'un changement perceptif ou des réponses motrices ultérieures. Puisque nos participants n'ont pas été informés de l'ambiguïté potentielle du stimulus, qu'on ne leur a pas demandé d'attendre un changement dans leur perception et qu'ils n'étaient pas conscients de l'incertitude du stimulus, notre paradigme suggère que plutôt que de refléter la conséquence de la résolution de l'ambiguïté, nos résultats peuvent aider à caractériser ses fondements neuronaux. La question reste ouverte de déterminer la manière dont l'ambiguïté d'un stimulus parvient à la conscience dans certains cas et reste soustraite à l'accès conscient dans d'autres.

«An implicit representation of stimulus ambiguity in pupil size«. PNAS 118 (48). November 2021.

www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2107997118

La perception est un problème mal défini: à chaque instant, l'information disponible aux sens est insuffisante pour spécifier de façon univoque et complète l'état du monde extérieur. La plupart des données que nous percevons sont en effet sous-spécifiées et bruitées, se prêtant à des interprétations rivales. Parmi les cas classiques d'ambiguïté sensorielle, on peut citer les illusions visuelles du cube de Necker, ou encore l'illusion auditive de Shepard. Deux exemples récents ont suscité l'attention du public et des médias, notamment par le fait qu'il s'agit de stimuli "naturels" et non-contrôlés : d'une part la #Robe dans le domaine visuel, une photographie d'une robe perçue tantôt comme noire et bleue, tantôt comme blanche et dorée; d'autre part le stimulus #Laurel-Yanny dans le domaine auditif, l'enregistrement d'un mot donnant lieu à des percepts très distincts selon les participants ("Laurel" selon les uns, "Yanny" selon les autres). Dans l'un et l'autre cas, la plupart des sujets résolvent de façon très rapide l'ambiguïté, sans accéder au caractère proprement ambigu du stimulus.

Si l'étude de la multistabilité perceptive constitue un champ d'exploration classique dans le domaine de la philosophie de la perception et des sciences cognitives, peu d'attention a été accordée jusqu'ici aux processus qui rendent l'ambiguïté perceptive accessible ou inaccessible à la conscience. Les cas mentionnés plus haut constituent des exemples frappants d'inaccessibilité à la conscience : là où la plupart des participants prennent rapidement conscience de l'ambiguïté du cube de Necker, et peuvent modifier leur percept de façon plus ou moins volontaire, l'un des aspects qui explique le succès de la Robe ou de Laurel-Yanny est justement l'incapacité de la plupart des sujets à accéder l'interprétation rivale des autres sujets percevants.

Le but de ce projet est d'examiner la nature et les conditions d'accès à l'ambiguïté du stimulus. Le projet vise à clarifier la contribution de trois facteurs principaux à cet accès : les caractéristiques propres du stimulus; son contexte; et enfin l'expertise des sujets percevants. Notre projet se fonde sur une méthodologie visant à prendre en compte différentes mesures d'accès explicite et implicite à l'ambiguïté : la performance des sujets, les jugements de confiance explicites, et enfin certains corrélats physiologiques de la confiance sur lesquels nous avons collecté des données préliminaires, notamment les temps de réaction et la dilatation de la pupille.

Le projet, de nature interdisciplinaire, a des implications nombreuses pour la compréhension de la multistabilité perceptive, notre hypothèse de travail étant que seuls certains stimuli multistables empêchent l'accès conscient à l'ambiguïté. L'un des aspects que le projet vise à clarifier concerne aussi le débat philosophique qui concerne l'opposition entre le vague et l'ambiguïté. Enfin, le projet comporte un volet de retombées pratiques, puisque nous prédisons qu'il est possible d'entraîner les sujets à mieux détecter les ambiguïtés perceptives, de façon à améliorer leurs performances métacognitives, de même que leurs performances de premier ordre sur des tâches perceptives complexes.

Coordination du projet

Paul EGRE (Institut Jean-Nicod)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CES Centre d'économie de la Sorbonne
LSP Laboratoire des Systèmes Perceptifs
IJN Institut Jean-Nicod

Aide de l'ANR 243 842 euros
Début et durée du projet scientifique : janvier 2020 - 42 Mois

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