CE41 - Inégalités, discriminations, migrations

''Aliéné mental'' et ''indigène''. Histoire juridique d'une double discrimination de statut en Afrique française (Fin XIXe siècle-1960) – AMIAF

«Aliéné mental« et «indigène«. Histoire juridique d'une double discrimination de statut en Afrique française (Fin XIXe siècle-1960)

Le projet de recherche AMIAF se propose de réaliser une enquête historico-juridique ayant pour objet les discours et les pratiques juridico-administratifs qui président à la construction et au fonctionnement du statut de l’« aliéné indigène » dans les territoires africains colonisés par la France, entre les deux dernières décennies du XIXe siècle et 1960.

Signes corporels de la folie et mobilisation des savoirs sur le psychisme

Dans le discours du droit colonial, l’altérité constitutive de l’« indigène » – fondée sur des considérations ethniques et justifiant le clivage entre le « citoyen français » et le « sujet français » – se double d’une différence supplémentaire qui touche à la sphère de la pathologie mentale. Notre étude interroge les enjeux (politiques, économiques et sociaux) et les effets découlant de la double discrimination de statut, produite à l’intersection des catégories d’« indigène » et d’« aliéné », tout au long de la colonisation française en Afrique. À cette fin, cette recherche se compose de deux volets. Le premier vise à détecter les éléments qui permettent aux juges et aux administrateurs de classer les individus, originaires du continent africain, parmi « aliénés ». Plus précisément, il s’agit d’étayer l’hypothèse suivant laquelle, en situation coloniale, les éléments dont les juristes et les administrateurs s’emparent pour classer l’indigène comme aliéné émanent essentiellement de l’observation du corps et des réponses comportementales des individus. Le deuxième s'arrête sur l’usage de savoirs extra-juridiques utilisés dans les discours et dans les pratiques juridico-administratives pour cerner l’« esprit indigène » et pour opérer une distinction entre le « normal » et le « pathologique ». En faisant attention aux changements intervenus aux différents moments de la présence française en Afrique, ainsi qu’aux spécificités des différents territoires africains colonisés, il est question de faire ressortir les enjeux du choix des acteurs institutionnels de mobiliser certaines connaissances sur le psychisme et d’en écarter d’autres.

Ce travail de recherche suit essentiellement une méthode historico-juridique, c’est-à-dire concentrée sur l’exploration et sur l’analyse historique des sources juridiques, telles que la jurisprudence, les études de doctrine, les thèses soutenues dans les facultés de droit, les documents législatifs, les documents administratifs. Il adopte une approche casuistique qui permet d’aller au cœur des « opérations du droit », en faisant émerger la force du discours juridico-administratif dans le façonnage de la réalité sociale. En raison de la nature même de l’objet d’étude, la méthode historico-juridique doit impérativement croiser les approches méthodologiques et les questionnements épistémologiques propres à d’autres disciplines (parmi lesquelles l’anthropologie, psychologie et l’histoire des sciences figurent au premier chef). Dans la même perspective, outre à la mobilisation des sources juridiques et administratives, la réalisation de ce projet nécessite de faire attention aux sources relatives à la médecine, à la psychiatrie et à la psychologie coloniales, à l’anthropologie, à l’ethnologie.

En reconstruisant un pan, aussi crucial que négligé, des modes opératoires de la justice et de l’administration coloniales face aux troubles mentaux, ce travail souhaite combler un vide historiographique, impulser au sein du laboratoire d’accueil un secteur d’études novateur à vocation pluridisciplinaire et propulser une nouvelle équipe, dynamique et hétérogène, composée par des spécialistes de différentes disciplines.le travail de recherche effectué autour de l’intersection des deux statuts, d’« indigène » et d’ « aliéné », pour la période comprise entre la fin du XIXe siècle et les années 1940 (en Afrique subsaharienne).
Jusqu'à présent, à l’appui des sources recueillies (surtout documents d’archives), nous avons pu saisir et analyser la complexité et la variabilité extrême de la condition juridique et administrative de la personne psychiquement atteinte, en situation coloniale. Le regard porté sur l’indigène malade varie suivant les acteurs (administrateurs locaux, administration centrale, juges, législateur, médecins militaires, psychiatres). Pour la période analysée, la limite entre une « mentalité indigène » (ontologiquement malade) et la psychopathologie demeure très floue, surtout lorsque la dimension religieuse et magique est en cause. Nous pouvons ainsi interroger la pertinence de l’usage de la formule d’« aliéné indigène » pour désigner un statut de droit doublement discriminatoire, qui est au cœur de notre recherche.

Évoquant des questions d’une actualité brûlante, le projet AMIAF se propose de fournir une perspective historique essentielle à la compréhension des processus contemporains d’assignations identitaires et de discrimination, fondés sur des considérations relative à l’ethnie, à la race, à l’origine, à l’état de santé. La perspective historico-juridique doit donc nous aider à questionner la persistance des catégories de matrice coloniale dans les pratiques (juridique, administrative et médicale) actuelles en matière de santé mentale à l’égard des populations immigrées et réfugiées en France. Cette recherche fournit également des instruments permettant d’interroger et d’analyser les raisons de la marginalisation politique, juridique et administrative de certaines théories et/ou de certains discours sur le psychisme à la faveur d’autres. Moyennant un regard historique, cette recherche fournira des éléments nouveaux pour réfléchir à la manière dont s’opère leur la sélection dans les politiques législatives actuelles en matière de santé mentale en France, avec un focus sur la prise en charge des troubles psychiques des populations immigrées.

Journées d'études :
Journée d’étude d’ouverture du projet AMIAF : L’« aliéné indigène ». Justice et administration face à l’altérité psychique. Perspectives historiques et enjeux actuels, 11 mars 2019, EHESS, Paris.

Publications :
S. Falconieri, « Pathologie de l’« âme indigène ». Savoirs juridico-administratif et médical sur la folie en Afrique », Genèses, numéro thématique : Race et psychiatrie, dir. A. Michel, à paraître.
S. Fancello, « ‘Le diable attaque la santé’. Guérison et délivrance en Afrique centrale (Centrafrique, Cameroun) », in A. Desclaux, A. Diarra et S. Musso (dir.), Guérir en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 59-79.
R. Gallien, « La chair de l’asile. Le quotidien de la folie entre violences ordinaires et ambitions disciplinaires (Madagascar, 1941) », Politique Africaine, 2020/1 (n°157), pp. 71-89.
T. Le Marc’hadour, « La gouvernance des fous, l’expérience lilloise au XVIIIe siècle », in Collectif CHJ, Gouvernance, justice et santé, Lille, Éditions du CHJ, 2020, pp. 87-134.
R. Tiquet et G. Aït Mehdi (dir.), L’ordinaire de la folie, Politique Africaine, 157 (2020).
R. Tiquet et G. Aït Mehdi, « Introduction. Penser la folie au quotidien », Politique Africaine, 157 (2020), pp. 17-28.

Le projet de recherche AMIAF se propose de réaliser une enquête historico-juridique ayant pour objet les discours et les pratiques juridico-administratifs qui président à la construction et au fonctionnement du statut de l’« aliéné indigène » dans les territoires africains colonisés par la France, entre les deux dernières décennies du XIXe siècle et 1960. Dans le discours du droit colonial, l’altérité constitutive de l’« indigène » – fondée sur des considérations ethniques et justifiant le clivage entre le « citoyen français » et le « sujet français » – se double d’une différence supplémentaire qui touche à la sphère de la pathologie mentale.
Cette étude se propose d’interroger les enjeux (politiques, économiques et sociaux) et les effets découlant de la double discrimination de statut, produite à l’intersection des catégories d’« indigène » et d’« aliéné », tout au long de la colonisation française en Afrique. À cette fin, cette recherche se compose de deux volets. Le premier vise à détecter les éléments qui permettent aux juges et aux administrateurs de classer les individus, originaires du continent africain, parmi « aliénés ». Il s’agira d’étayer l’hypothèse suivant laquelle, en situation coloniale, les éléments dont les juristes et les administrateurs s’emparent pour classer l’indigène comme aliéné émanent essentiellement de l’observation du corps et des réponses comportementales des individus. Le deuxième veut interroger l’usage de savoirs extra-juridiques utilisés dans les discours et dans les pratiques juridico-administratives pour cerner l’« esprit indigène » et pour opérer une distinction entre le « normal » et le « pathologique ». En faisant attention aux changements intervenus aux différents moments de la présence française en Afrique, ainsi qu’aux spécificités des différents territoires africains colonisés, il sera question de faire ressortir les enjeux du choix des acteurs institutionnels de mobiliser certaines connaissances sur le psychisme et d’en écarter d’autres.
En raison de la nature même de l’objet d’étude, la méthode historico-juridique, dont cette recherche s’inspire essentiellement, croisera impérativement les approches méthodologiques et les questionnements épistémologiques propres à d’autres disciplines (parmi lesquelles l’anthropologie, psychologie et l’histoire des sciences figurent au premier chef). Dans la même perspective, outre à la mobilisation des sources juridiques et administratives, la réalisation de ce projet nécessitera de faire attention aux sources relatives à la médecine, à la psychiatrie et à la psychologie coloniales, à l’anthropologie, à l’ethnologie.
En reconstruisant un pan, aussi crucial que négligé, des modes opératoires de la justice et de l’administration coloniales face aux troubles mentaux, ce travail souhaite combler un vide historiographique, impulser au sein du laboratoire d’accueil un secteur d’études novateur à vocation pluridisciplinaire et propulser une nouvelle équipe, dynamique et hétérogène, composée par des spécialistes de différentes disciplines. Évoquant des questions d’une actualité brûlante, le projet AMIAF se propose, en outre, de fournir une perspective historique essentielle à la compréhension des processus contemporains d’assignations identitaires et de discrimination, fondés sur des considérations relative à l’ethnie, à la race, à l’origine, à l’état de santé. De ce fait, la plupart des produits finaux de cette recherche – carnet de recherche AMIAF, bibliothèque numérique, exposition virtuelle sur l’enfermement asilaire en Afrique, colloque, journées d’études, ouvrage – s’adressent à un public hétérogène, comprenant à la fois les chercheurs, les acteurs politiques, les juristes, les professionnels de la santé mentale travaillant avec les populations issue de l’immigration, les étudiants, le grand public.

Coordination du projet

Silvia Falconieri (Institut des mondes africains)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IMAf Institut des mondes africains

Aide de l'ANR 235 067 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2018 - 36 Mois

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