Origine de la poussière cométaire – COMETOR
COMETOR - Origine de la poussière cométaire
Les mécanismes de formation et d'évolution de la poussière cométaire sont étudiés grâce aux analyses de poussières ultracarbonées d'origine cométaire (UCAMMs) extraites de la collection de micrométéorites CONCORDIA. Des expériences de simulation de formation de la matière organique cométaire ont été réalisées par irradiations ioniques d'analogues de glaces cométaires en laboratoire.
Vers une meilleure compréhension de la formation des poussières cométaires et de leur rôle dans l'apport de matière prébiotique sur Terre
Les comètes fournissent des informations uniques sur la matière présente dans les régions externes et froides du disque protoplanétaire, et qui a échappé à la formation planétaire. La poussière cométaire a été étudiée lors de plusieurs missions spatiales, mais les analyses ont été réalisées soit in situ à distance (Giotto, Vega, Rosetta), ou à partir d'échantillons rapportés sur Terre par la mission spatiale Stardust (NASA) affectés par leur collecte à hypervitesse dans un aérogel de silice.<br />Les micrométéorites ultracarbonées (UCAMMs) d'origine cométaire permettent d’étudier en laboratoire la matière formée dans les régions externes du disque protoplanétaire.<br />L'originalité du projet COMETOR réside en quatre points: i) la disponibilité d'échantillons cométaires bien préservés, les UCAMMs; ii) l'analyse de ces particules complexes avec une combinaison de techniques complémentaires de pointe - incluant la nanospectroscopie infrarouge (AFM-IR) qui couple la microscopie à force atomique (AFM) à la spectroscopie IR et permet l'analyse IR à l'échelle de ~ 50-100 nm; iii) la simulation de formation de matière organique cométaire par irradiation ionique à haute énergie d'analogues de glaces cométaires, pour reproduire leur interaction avec le rayonnement cosmique galactique dans l'espace interplanétaire; iv) une tentative d'analyse de matière organique soluble des UCAMMs pour évaluer leur rôle dans l'apport de matière prébiotique sur Terre.
Ce projet développe un protocole innovant pour caractériser l'association de la matière organique et des minéraux au sein des micrométéorites ultracarbonées (les UCAMMs), à l’aide de techniques d’analyses de pointe. Des simulations expérimentales de production de matière organique cométaire sont réalisées par irradiation ionique à haute énergie d'analogues organiques cométaires.
La manipulation des UCAMMs nécessite un environnement de micromanipulation en salle blanche. Chaque UCAMM est fragmentée en plusieurs morceaux pour permettre des analyses complémentaires sur chaque fragment. La microscopie électronique à balayage équipée de spectroscopie X (MEB-EDX) donne accès à la composition globale de l'UCAMM. L'association de matière organique solide et matière minérale est étudiée par microscopie infrarouge (µ-FTIR) sur synchrotron, µ-Raman, nanospectroscopie IR (AFM-IR), microscopie X en transmission sur synchrotron (STXM-XANES) couplée à la microscopie électronique en transmission (MET). Les compositions isotopiques des éléments légers (H, C, N, O) sont analysées par NanoSIMS. Une tentative a été effectuée pour rechercher la matière organique soluble par spectrométrie de masse haute résolution (Orbitrap). Des expériences d'irradiation d'analogues de glaces cométaires sur accélérateurs d'ions lourds (GANIL) ont été réalisées pour simuler la formation de matière organique cométaire et étudier la préservation d'hétérogénéités isotopiques.
Cette étude a fourni la première preuve d'hétérogénéité sub-µm de la matière organique dans une UCAMM par AFM-IR. Cela ouvre la voie à l'étude de l'interface matière organique/minéraux (Mathurin et al. 2019, 2020).
La minéralogie des UCAMMs nécessite le transport de minéraux cristallins des régions internes vers les régions externes du système solaire. Une phase probablement hydratée dans une UCAMM suggère la possibilité d'altération aqueuse sur la comète, ou l'incorporation de ce minéral provenant d'un astéroïde altéré (Guérin et al. 2020, et 2023 in prep).
Certains minéraux des UCAMMs ont enregistré des traces d'irradiation pré-accrétionnelles, imposant des contraintes sur leur temps de résidence dans les régions internes du disque (Engrand et al. 2019, 2020).
Trois types de matière organique sont présentes dans les UCAMMs. L’une d’elle est riche en N, n'a pas d’équivalent météoritique, et ne contient que des phases minérales vitreuses. Les deux autres phases montrent des similarités avec la matière organique insoluble météoritique et peuvent contenir des minéraux cristallins.
De nouvelles données isotopiques des éléments légers (H, C, N) dans la matière organique des UCAMMs confirment leurs ratios D/H élevés et permettent d'étudier les corrélations possibles entre compositions isotopiques et les différentes signatures IR identifiées à l'échelle sub-µm par AFM-IR (Rojas et al. 2020a, 2022, 2023).
Des simulations expérimentales au GANIL (Caen) ont montré que l'irradiation de glaces riches en CH4 et N2 par des ions lourds de haute énergie peut produire des résidus organiques présentant des signatures spectroscopiques IR similaires à celles de la matière organique riche en N des UCAMMs. Cela fournit un scénario pour la formation de matière organique cométaire. L'irradiation de glaces isotopiquement marquées produit un résidu organique avec des hétérogénéités isotopiques comparable à celles observées dans la matière organique des UCAMM (Augé et al. 2019, Rojas et al. 2020b, 2021b).
Le flux actuel de micrométéorites sur Terre mesuré à partir de la collection de micrométéorites CONCORDIA est ~5200 tonnes/an, et permet d’estimer l’apport de carbone extraterrestre à la surface de notre planète (Rojas et al. 2021a).
Des analogues spectroscopiques des bandes infrarouges aromatiques (AIB) observées dans le milieu interstellaire peuvent être produits en laboratoire par synthèse mécanochimique, et pourraient être utilisés pour produire des UCAMMs synthétiques (Dartois et al. 2020).
Nous avons analysé des échantillons de l'astéroïde Ryugu rapportés par la mission Hayabusa2. Ils montrent des similitudes avec les météorites CI, dont il a été proposé qu'elles aient une origine cométaire. En comparant les données Ryugu avec celles des UCAMM, nous n'avons pas trouvé de similarités, ce qui suggère differents matériaux précurseurs ou de forts effets post-accrétionnels sur Ryugu.
Les résultats obtenus au cours de ce projet ouvrent plusieurs perspectives:
i) Poursuite de la recherche de corrélation entre les compositions isotopiques et les caractéristiques chimiques et fonctionnelles de la matière organique des UCAMMs en combinant µ-FTIR, µ-Raman, NanoSIMS, AFM-IR, et STXM-XANES.
ii) Caractérisation fine de la minéralogie des UCAMMs par MET et étude de l'interface matière organique/minéraux par AFM-IR.
iii) Production d'UCAMMs synthétiques et simulation de leur évolution dans le milieu interplanétaire et lors de leur arrivée sur Terre.
iv) Recherche de composés organiques solubles dans les UCAMMs, pour estimer le rôle des poussières cométaires dans l'apport de matière prébiotique sur la Terre primitive.
Ces résultats ont des implications dans les domaines de l'astrophysique, de la planétologie-cosmochimie et de l'astrobiologie. Ils apportent une contribution originale à la compréhension de la formation et de l'évolution de la matière solide des régions externes du disque protoplanétaire, et sont essentiels pour une meilleure interprétation des données issues de missions spatiales étudiant les petits corps (Stardust, Rosetta, Hayabusa2, OSIRIS-REx) et de l'observation de disques protoplanétaires (e.g. avec JWST).
T. Nakamura et al. Formation and evolution of carbonaceous asteroid Ryugu: Direct evidence from returned samples. Science, 2022, 379 (6634), (10.1126/science.abn8671). (hal-03854309)
T. Mannel et al. Dust of comet 67P/Churyumov-Gerasimenko collected by Rosetta/MIDAS: classification and extension to the nanometer scale. A&A, 2019, 630, A26 (14 p.). (10.1051/0004-6361/201834851). (insu-02155727)
J Rojas et al. The micrometeorite flux at Dome C (Antarctica), monitoring the accretion of extraterrestrial dust on Earth. EPSL, 2021, 560, pp.116794. (10.1016/j.epsl.2021.116794). (hal-03148838)
E. Dartois et al. Electronic sputtering of solid N$_2$ by swift ions. Nuclear Instruments and NIM B, 2020, 485, pp.13-19. (10.1016/j.nimb.2020.10.008). (hal-02987513)
J. Barosch et al. Presolar Stardust in Asteroid Ryugu. ApJL, 2022, 935, (10.3847/2041-8213/ac83bd). (insu-03776407)
E. Dartois et al. Mechanochemical synthesis of aromatic infrared band carriers: The top-down chemistry of interstellar carbonaceous dust grain analogues. A&A, 2020, 637, pp.A82. (10.1051/0004-6361/202037725). (cea-02614414)
J. Mathurin et al. Nanometre-scale infrared chemical imaging of organic matter in ultra-carbonaceous Antarctic micrometeorites (UCAMMs). A&A, 2019, 622, pp.A160. (10.1051/0004-6361/201833957). (hal-02073521)
D. Koschny et al. Interplanetary Dust, Meteoroids, Meteors and Meteorites. SSR, 2019, 215 (4), art.34 (62p.). (10.1007/s11214-019-0597-7). (insu-02151293)
B. Augé et al. Hydrogen isotopic anomalies in extraterrestrial organic matter: role of cosmic ray irradiation and implications for UCAMMs. A&A, 2019, 627, pp.A122. (10.1051/0004-6361/201935143). (cea-02182692)
B. Baecker et al. Noble gases in Dome C micrometeorites - An attempt to disentangle asteroidal and cometary sources. Icarus, 2022, 376, pp.114884. (10.1016/j.icarus.2022.114884). (hal-03854561)
M. Rubin et al. On the Origin and Evolution of the Material in 67P/Churyumov-Gerasimenko. SSR, 2020, 216 (5), pp.102. (10.1007/s11214-020-00718-2). (hal-02911974)
M. Horanyi et al. Interplanetary and interstellar dust as windows into solar system origins and evolution. Bull. Am. Astro. Soc., 2021, 53 (4), (10.3847/25c2cfeb.1845c627). (hal-03454390v2)
J Paquette et al. D/H in the refractory organics of comet 67P/Churyumov-Gerasimenko measured by Rosetta /COSIMA. MNRAS, 2021, 504 (4), pp.4940-4951. (10.1093/mnras/stab1028). (hal-03454400)
D. Bockelée-Morvan et al. AMBITION – comet nucleus cryogenic sample return. Exp. Astro., 2022, 54, pp.1077-1128. (10.1007/s10686-021-09770-4). (insu-03298830v3)
R. Isnard et al. H/C elemental ratio of the refractory organic matter in cometary particles of 67P/Churyumov-Gerasimenko. A&A, 2019, 630, pp.A27. (10.1051/0004-6361/201834797). (hal-02360763)
H. Yabuta et al. Macromolecular organic matter in samples of the asteroid (162173) Ryugu. Science, 2023, 379 (6634), pp.eabn9057. (10.1126/science.abn9057). (hal-04034418)
Les poussières cométaires ne peuvent être récoltées que dans les régions terrestres les plus propres, la stratosphère et l'Antarctique. Nous collectons des particules de grande taille (> 50-100 µm) d'origine cométaire très probable dans les neiges proches de la station franco-Italienne Concordia. Ces micrométéorites ultracarbonées (UCAMMs) sont constituées d'une fraction dominante de matière organique (MO) macromoléculaire, intimement mélangée avec une composante minérale mineure. La MO est structurellement désordonnée, avec de larges enrichissements en deuterium et une concentration globale anormalement élevée en azote (jusqu'à 20% at.). Plusieurs types de MO de teneurs en azote différentes coexistent en fait dans les UCAMM, et contiennent des proportions minérales variées. Les minéraux inclus dans la MO ont des tailles typiques autour de 50-100 nm, et sont cristallins ou amorphes, avec une large gamme de compositions. Certains précurseurs de la MO (en particulier la plus riche en N) pourraient avoir été formés par irradiation de glaces riches en azote par le rayonnement cosmique galactique à la surface de petits corps glacés des régions externes du disque protoplanétaire.
Les UCAMMs sont exceptionnelles car leurs composants ont préservé l’enregistrement des premiers stades de la formation et de l'évolution du système solaire. L'association de minéraux (formés à haute température) inter-mélangés à de grandes quantités de MO (nécessairement formée à plus basse température) ouvre une nouvelle fenêtre sur l’origine et les mécanismes de formation de la matière provenant des régions externes du système solaire. Nous proposons d’étudier ces mécanismes en suivant les trois questions suivantes :
1. Quelle est l'origine des composants de la matière cométaire? "Système solaire interne et externe ..."
2. Quelles sont les variations de composition de la MO et des minéraux avec la distance héliocentrique?
3. Comment les différents environnements rencontrés (milieu interplanétaire radiatif, atmosphère terrestre, Antarctique) ont-ils modifié les UCAMMs?
Ce projet suivra un protocole innovant pour caractériser à la fois la matière organique, les minéraux et leur association au sein UCAMMs, à l’aide de techniques d’analyses de pointe. Des simulations expérimentales de leur évolution depuis l'espace interplanétaire jusqu’à leur collection en Antarctique seront réalisées sur des analogues organiques cométaires, et sur des UCAMMs synthétiques produites en laboratoire.
L'originalité de la proposition COMETOR réside en quatre points: (i) la disponibilité d'échantillons cométaires bien préservés; ii) l'analyse de ces particules complexes avec une combinaison de techniques complémentaires de pointe - y compris la spectroscopie infrarouge (IR) couplée à la microscopie à force atomique (AFMIR) qui permettra l'analyse IR à l'échelle de ~ 50-100 nm; iii) la production d'analogues de solides cométaires et l'observation en temps réel de leur évolution sous irradiation grâce à la plateforme unique JANNuS, couplant un microscope électronique à transmission avec deux accélérateurs d'ions; iv) la recherche de composés organiques solubles (y compris les acides aminés) dans les UCAMMs avec la technique de spectrométrie de masse à très haute résolution Orbitrap, pour sonder l'importance de la poussière cométaire pour l'apport de molécules prébiotiques sur la Terre primitive.
Les résultats attendus auront des implications dans les domaines de l'astrophysique, de la planétologie-cosmochimie et de l'astrobiologie. Ils apporteront une contribution originale à la compréhension de la formation et de l'évolution de la matière solide des régions externes du disque protoplanétaire. Ils seront cruciaux pour l’interprétation des données de missions spatiales comme Rosetta et Stardust, pour les missions de retour d’échantillons Hayabusa 2 et OSIRIS-REx, ainsi que pour les futures observations de disques protoplanétaires par le télescope spatial James Webb (JWST).
Coordination du projet
Cecile Engrand (Centre de Sciences Nucléaires et de Sciences de la Matière)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
IPAG Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble
LCP Laboratoire de Chimie Physique
UMET Unité Matériaux et Transformations
ISMO Institut des Sciences Moléculaires d'Orsay
CSNSM Centre de Sciences Nucléaires et de Sciences de la Matière
Aide de l'ANR 571 942 euros
Début et durée du projet scientifique :
octobre 2018
- 48 Mois