DS08 - Sociétés innovantes, intégrantes et adaptatives

Médiations Linguistiques et Interculturelles en contexte de migrations internationales – LIMINAL

La crise migratoire par les langues: Médiations Linguistiques et Interculturelles en contexte de Migrations internationales

Que font aux langues les espaces sociaux de la migration ? De quelles façons les langues mettent à l’épreuve les politiques migratoires? Comment qualifier les parlers de la migration, les « migralectes » ? Ces questions ont mobilisé les chercheurs du programme LIMINAL. Aux frontières franco-italiennes et franco-britanniques, dans les campements et structures d’accueil et d’hébergement, l’équipe a élaboré une méthodologie novatrice pour rendre compte d'une pragmatique des parlers de la migration.

Etudier les situations d’interaction et de médiation en migration : un impact social majeur

Partant de l’hypothèse majeure qu’il existe un langage propre à l’expérience migratoire récente, les enjeux initiaux du projet LIMINAL portent sur les interactions et les médiations entre migrants et acteurs institutionnels, associatifs et informels en situation de crise migratoire et humanitaire, telle que celle-ci se développe en France depuis 2015 (multiplication de campements, camps, centres d’accueil et d’hébergement). <br />Le projet Liminal, ancré dans une anthropologie de terrain qui emprunte aux approches interactionniste (Goffman, 1972) et situationnelle (Puaud, 2016), accorde une attention privilégiée à ce qui se joue dans les coulisses socio-culturelles des situations d’interaction. Celles-ci se révèlent spécifiquement dans les médiations langagières, qui doivent être appréhendées comme le lieu central où se tissent des rapports de pouvoir entre les acteurs (exilés, étatiques, associatifs, humanitaires, etc.), mais aussi des résistances (Scott, 1990). C’est là où, précisément, le contexte socio-politique et la violence épistémique des dispositifs de l’asile assignent les migrants à des positions sociales minorées et ignorent leurs discours, que les langues peuvent précisément produire des espaces de refuge et d’action. Le projet Liminal propose ainsi la mise en place d’une approche inédite articulant anthropologie et socio-linguistique pour appréhender ce qui se joue par les langues dans les migrations contemporaines.<br />Le projet se focalise d’une part, sur la spécificité des interactions et médiations en situation d’urgence migratoire, d’autre part sur les situations d’incompréhension et de transmission lacunaire des informations d’accès aux droits, aux soins, aux parcours de demande d’asile. Enfin, LIMINAL s’intéresse aux trajectoires et compétences des personnes en « situation de traduction » dans des terrains dits sensibles (http://migralect.org/article40.html) , notamment les bénévoles ou encore les salariés polyvalents des associations, réfugiés, pour lesquels le néologisme de « traduisant » est apparu opérationnel.

Les enjeux méthodologiques de l’ANR LIMINAL sont (i) l’adoption d’une méthodologie propre aux terrains sensibles au travers d’une approche pluridisLIMINAL, programme multilingue a offert l’opportunité d’une approche scientifique et méthodologique repensée. Au niveau de sa structure, le projet s’est orienté vers une démarche de plus en plus participative et interactionnelle (acteurs associatifs, militants, exilés, etc.), en ce qu’elle concerne et nécessite des locuteurs en langues dites « rares » en France de même que la prise en compte des situations d’interaction et des médiations nécessaires. Stagiaires et collaborateurs ponctuels sont venus enrichir l’équipe initiale, notamment pour documenter les termes en situation de MIGralect.org. L’équipe a donc été renouvelée et étendue à des collaborations ouvertes (langues, situations d’énonciation), et conjointement sa méthodologie participative et impliquée a été transformée, ces points constituant les principales évolutions structurelles du projet.
Par ailleurs, le programme a considérablement affiné sa méthodologie anthropologique jusqu’à proposer un cadre innovant pour penser les migrations contemporaines, comme théorisé dans l’ouvrage collectif final (Lingua (non) grata, Langues, violences et résistances dans les espaces de la migration, Presses de l’Inalco, 2022). L’approche renouvelée du terrain a permis la constitution d’un corpus innovant et donc de rendus originaux : corpus multilingue jusqu’à présent non étudié des inscriptions, tags et graffitis des demandeurs d’asile dans les centres d’accueil et d’hébergement et les campements (ouvrage prévu en 2022), usage selon une charte éthique de données audiovisuelles filmées dans les centres d’hébergement et les campements, etc.
Enfin, les enjeux techniques de transcription, translittération et traduction en cinq langues rares et trois langues européennes ont conduit à un affinement progressif et une adaptation aux besoins. Une base de données lexicale (Okapi – INA- 2194 mots, 223 documents et près de 600 notices documentées en 5 langues extra-occidentales et 3 européennes) a ainsi été élaborée au fur et à mesure des terrains de recherche puis transférée vers un site réalisé avec SPIP.

Les résultats obtenus sont de différents ordres. D’une part, le programme Liminal a offert l’opportunité de produire un savoir multi-situé, multilingue et multidisciplinaire, et d’enrichir ainsi les travaux académiques dans ce domaine central, mais minoré, des études sur les migrations, à partir de terrains anthropologiques inédits ( liste des publications en E.2). D’autre part, la base de données Migralect.org et le diplôme universitaire Hospitalité, médiations, migrations (DU H2M) constituent des initiatives novatrices, à la fois de partage de savoirs, de méthodologie et de formation. L’ensemble ouvre des perspectives nouvelles en termes de recherche fondamentale, de recherche appliquée aux besoins des acteurs sociaux et de recherche en collaboration avec les locuteurs exilés dont compétences et expériences sont valorisées dans le programme. Ce dernier aspect a un impact direct sur l’intégration des personnes réfugiées et sur leur accès au monde professionnel. En ce sens, ce besoin a dépassé les prévisions initiales du projet : le DU H2M reçoit chaque année un nombre de candidatures croissantes (85 en moyenne pour 25 places), intégrant des paramètres géopolitiques (étudiantes afghanes ou ukrainiennes accueillies).

Le programme a donné lieu à une étude renouvelée et innovante sur un domaine central des migrations, les pratiques linguistiques, circonscrivant ainsi une cartographie en open-access, spatiale et subjective des parlers employés entre 2017 et fin 2021 (Migralect.org). D’autre part, il a offert l’opportunité d’expérimenter une méthodologie participative interactionnelle, fondée sur les connaissances linguistiques des personnes en migration telles qu’elles se pratiquent dans les espaces de la migration dans les contextes spécifiques de l’urgence. Enfin, LIMINAL a développé un savoir co-construit alimentant un programme de formation et de professionnalisation d’un type nouveau, au plus près des besoins actuels des acteurs de la solidarité et sociaux, le DU Hospitalité, médiations, migrations (H2M) appelé à se renforcer avec une licence professionnelle, la première de ce genre, en 2023-2024. L’impact scientifique et sociétal apparaît ainsi fort, au travers de productions répondant aux demandes des acteurs de la solidarité comme des publics académiques et de soutien aux personnes en migration. En conséquence, les perspectives ouvertes par le programme apparaissent importantes : enrichissement de la base de données en France et à l’échelle européenne, élargissement d’une étude comparée incluant d’autres contextes, développement de formations adaptées répondant aux besoins des acteurs (institutionnels, de la société civile, des personnes réfugiées) en termes d’intégration et de savoir-faire spécifiques. A titre d’exemple, un programme de recherche issu des analyses et méthodologies de recherche de Liminal a été déposé et accepté par l’Institut Convergences Migrations (Savoirs partagés aux frontières - CO-FRONT), prélude au dépôt d’une nouvelle ANR ou d’un ERC. Dans le même sens, la coordinatrice du projet, récemment nommée directrice adjointe de l’ICMigrations, est lauréate IUF senior 2022 et envisage un projet ERC dans la suite de Liminal.

Les résultats des enquêtes de terrain sont exploités dans 3 publications (2 numéros de revue, 2 ouvrages collectifs, le dernier faisant l’objet d’une version anglaise en cours de finalisation - un dernier ouvrage sur les graffiti et inscriptions est en cours de rédaction) mais également dans la création et la mise à disposition en accès libre d’une base de données sur les parlers de la migration, migralect.org, qui a nécessité quatre ans de travail.
L’ensemble des recherches nourrit également les modules de cours de la formation de médiateurs-pairs dans le cadre du DU Hospitalité, médiations, migrations (INALCO et financement par une Fondation privée + financement par le MESRI -projet AMI-émergence entre 2022 et 2024), premier diplôme de cette nature en France (plaquette : www.inalco.fr/actualite/diplome-universitaire-hospitalite-mediations-migrations-h2m-inscriptions-jusqu-16-juin), dont l’équipe de coordination pédagogique et une grande partie des enseignants sont des membres du programme LIMINAL.
Le DU H2M a servi d’exemple et de base pour la création de deux nouveaux diplômes : le DU Dialogues - Médiation, interprétariat, migration (Université de Lyon 2, depuis 2020-2021) et le DU Frontières - Médiation et interprétariat à la frontière (Université de Lille- PSM, 2021-2022). Le DU H2M évoluera en une licence professionnelle en 2023-2024.
Tous les rendus du projet LIMINAL (de la base MIGRalect aux publications) sont destinés à la fois à la communauté des chercheurs mais aussi aux acteurs du champ de la migration (acteurs étatiques, locaux, associatifs, humanitaires) et aux exilés eux-mêmes. Enfin l’ensemble des résultats scientifiques a fait l’objet de restitution auprès des acteurs de terrain (ateliers de savoirs partagés entre acteurs de la solidarité et recherche à Briançon et à Calais) et de vulgarisation. A ce titre, le carnet de recherche liminal.hypotheses.org et la page facebook (ANR LIMINAL) ont accompagné le projet, ainsi que les blogs Azil, langues, migrations, exils sur le portail du Monde (jusque 2019) azil.blog.lemonde.fr puis de Mediapart (https://blogs.mediapart.fr/liminal/blog).

Le projet LIMINAL porte sur les interactions et les médiations entre migrants et acteurs institutionnels, associatifs et informels en situation de crise migratoire et humanitaire, telle que celle-ci se développe en France depuis 2015 (multiplication de campements, camps, centres d’accueil et d’hébergement). Ces situations d’interaction et de médiation Linguistiques et Interculturelles en contexte de MIgrations internatioNALes, à l’impact social majeur, n’ont jamais été directement étudiées par des programmes de recherche nationaux et internationaux. Elles s’inscrivent cependant dans les défis prioritaires de l’Union européenne (H2020).
LIMINAL est porté par l’INALCO au travers de trois de ses centres de recherche - le Centre Pluralités des langues et identités : didactique, acquisition et médiations (PLIDAM), le Centre d’Étude et de Recherche sur les Littératures et les Oralités du Monde (CERLOM) et le Centre d’Études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA) auquel sont rattachés des chercheurs spécialistes de la migration et des médiations d’autres centres français (Triangle/ENS Lyon, URMIS/ U. Côte d’Azur, CRPMS/U. P7 Diderot, MIGRINTER/U. Poitiers) et britannique (SOAS Londres). L’équipe pluridisciplinaire de LIMINAL réunit des anthropologues, sociologues, psychologues, linguistes, sociolinguistes et sémioticiens. Ils travailleront en commun les interactions et pratiques de médiation dans cinq langues majoritaires sur le terrain : urdu, farsi, dari, amharique, arabe. L’équipe mènera des enquêtes en binôme (anthropologues-sociologues et sociolinguistes) dans les camps, campements et centres de trois zones en France (Paris et région parisienne, Hauts-de France, région Provence-Alpes-Côte d’Azur) et dans deux villes frontières (Douvres et Vintimille). LIMINAL se présente ainsi comme une recherche-action en terrain sensible, exigeant le respect d’une charte éthique pour la collecte et l’exploitation des données. Le projet repose sur plusieurs hypothèses théoriques dont (i) la spécificité des interactions et médiations en situation migratoire d’urgence, (ii) l’impact des contextes institutionnels et informels sur les situations de médiation, (iii) la centralité des interprètes–médiateurs dans les dispositifs d’accueil des migrants, (iv) la nécessité de développer des outils d’information et de formation adéquats en réponse aux demandes récurrentes des acteurs sociaux. Pour ce faire, LIMINAL développera une méthodologie originale et réflexive fondée sur la collaboration entre chercheurs et acteurs professionnels et associatifs, en particulier Emmaüs Solidarité (Paris) et la Plateforme Service Migrants (association des Hauts-de-France). Grâce à la collecte et à l’analyse de données verbales et non verbales, textuelles, sonores et audiovisuelles, le projet LIMINAL a pour objectif : (i) la constitution d’une plateforme numérique multilingue à partir de données lexico-terminologiques sur des populations migrantes et sur leurs usages des langues dans des situations d’urgence (ii) la production d’un corpus audiovisuel sur les situations d’interaction et de médiation autour de situations clés ponctuant la vie des migrants, (iii) la création d’outils scientifiques et pédagogiques pour la formation des interprètes-médiateurs (élaboration de modules, de glossaires et de lexiques, participation à des diplômes universitaires). Les livrables concrets documentant ces objectifs sont élaborés grâce à l’expertise des membres du consortium travaillant à l’environnement numérique (Archives Audiovisuelles de la Recherche, HAL-INALCO, Presses de l’INALCO) et de partenaires extérieurs (INA). Par son objet et sa méthodologie, LIMINAL entend ainsi répondre de manière innovante à la compréhension des enjeux migratoires.

Coordination du projet

Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky (Centre d'Etudes en Sciences Sociales sur les Mondes Africains, Américains et Asiatiques)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

PLIDAM Pluralité des Langues et des Identités : Didactique, Acquisition, Médiations ?
CERLOM CENTRE D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LES LITTERATURES ET LES ORALITES DU MONDE
CESSMA Centre d'Etudes en Sciences Sociales sur les Mondes Africains, Américains et Asiatiques

Aide de l'ANR 362 587 euros
Début et durée du projet scientifique : octobre 2017 - 36 Mois

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