Penser sans Mots: La Pensée Abstraite et Combinatoire chez le Nourrisson et l'Enfant – TACTIC

La capacité cognitive à combiner des représentations de manière productive est à la base du langage, du raisonnement, de l’apprentissage et de l’innovation. Les origines développementales de cette capacité, en particulier sa relation avec l’acquisition du lexique, restent peu comprises et peu étudiées empiriquement. Selon une position extrême, la capacité cognitive à combiner l’information et à produire ainsi toutes les représentations qui constituent nos pensées est innée (Fodor, 1975). Cette capacité précéderait donc l’acquisition du langage et en serait l’un des moteurs. A l’inverse, sans mot, la pensée pourrait bien être extrêmement appauvrie (Bermudez, 2003). Selon cette vue alternative, les mots constituent un intermédiaire unique pour deux capacités humaines uniques: (1) la pensée abstraite, c’est-à-dire représenter des concepts qui ne peuvent pas être directement perçus par nos sens tels que la liberté ou l’atome et (2) la pensée combinatoire, c’est-à-dire combiner plusieurs représentations afin de créer de nouveaux concepts tels que un lion de pierre, un biscuit cher, une maison chère, ou pas rouge.
TACTIC a pour buts de caractériser l’esprit pré-lexical en étudiant la pensée abstraite et combinatoire des nourrissons et des enfants, et d’interroger le rôle de l’acquisition de certains mots dans le développement de cette pensée. TACTIC se concentrera sur deux cas d’étude: la négation, et les concepts relationnels même et différent.
En premier lieu, la négation est un opérateur logique et combinatoire qui se combine avec son argument (par exemple rouge) afin de produire un nouveau concept (pas rouge). Nous chercherons les traces d’un contenu négatif dans le comportement des nourrissons. Par exemple, si nous faisons choisir à des nourrissons, de manière répétée, entre deux objets, une balle et quelque chose d’autre, les nourrissons peuvent-il apprendre à choisir systématiquement l’objet qui n’est pas la balle, c’est-à dire apprendre à éviter la balle? Nous étudierons si une telle attitude négative peut être utilisée pour construire une représentation qui exclue la balle: tous les objets, sauf la balle. A l’aide d’un dispositif de suivi du regard et de paradigmes d’anticipations, nous étudierons également la capacité des nourrissons à apprendre une exception à une règle, et le rôle que l’inhibition joue peut-être dans ces apprentissages.
En deuxième lieu, les concepts même et différent sont des relations abstraites qui s’appliquent à toute modalité et tout domaine de la cognition: les sons, les objets, les animaux, etc. Il existe une large littérature en psychologie comparative (Thompson & Oden, 1996) et quelques articles à propos des nourrissons (Hochmann, Mody & Carey, 2016), qui suggèrent que aussi bien les nourrissons que les animaux représentent la relation même, mais il n’y a pas de résultats convaincants suggérant la représentation de la relation différent (Hochmann, Mody & Carey, 2016). Nous développerons de nouveaux paradigmes en utilisant les techniques de la pupillométrie et de l’EEG, afin de tester plus avant la capacité des nourrissons à représenter la relation différent. De plus, nous proposerons un format de représentation qui explique pourquoi la relation même est plus facile à représenter que la relation différent. Nous testerons de manière expérimentale les prédictions faites par ce modèle.
Enfin, nous explorerons le rôle que l’acquisition de certains mots (“pas”, “même”, “différent”) joue dans le développement de la pensée abstraite et combinatoire. Notre hypothèse de travail est que les représentations combinatoires sont construites à partir de précurseurs, tels que les représentations étudiées dans les sections précédentes du projet, mais que les mots sont nécessaires pour dépasser certaines limites cognitives.