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Les politiques à l’épreuve des partis, ou vice-versa? Visibilité des enjeux, arbitrages politiques et transformations des organisations partisanes en France – PARTIPOL

Les politiques à l’épreuve des partis, ou vice-versa?

Visibilité des enjeux, arbitrages politiques et transformations des organisations partisanes en France

Un projet mobilisant des méthodes mixtes pour explorer l'influence des partis dans la fabrique des politiques publiques françaises

La légitimité des démocraties représentatives repose sur la définition d’alternatives politiques par les candidats aux élections et leur réalisation, par ceux qui remportent les élections. Face à des contraintes toujours plus fortes, quel est l’espace disponible pour la formulation et la mise en œuvre d’alternatives politiques ? Le projet PARTIPOL s’est attaché à répondre empiriquement à cette question, à partir de l’étude du contexte français.<br />Il s’agissait d’abord d’analyser le degré de congruence entre promesses électorales et politiques publiques adoptées. Nous nous intéressions à la fois à la mise à l’agenda et à la substance des propositions et des décisions (est-ce que ce qui est fait correspond bien à ce qui a été promis ?). Ensuite, nous souhaitions identifier les facteurs de variation – autrement dit, les conditions qui favorisent ou défavorisent le respect des promesses électorales. Le troisième objectif était de dépasser les analyses de niveau macro, pour mieux identifier les mécanismes liant propositions électorales et politiques publiques et en restituant les séquences causales (les promesses électorales pourraient être, elles-mêmes, revues suite à l’implication du parti dans l’élaboration des politiques publiques). Nous nous intéressions particulièrement aux mécanismes relatifs aux négociations internes aux coalitions gouvernementales. Un objectif transversal visait enfin à faire émerger, au niveau français et international, un réseau dense d’experts à même d’explorer les liens entre programmes électoraux et politiques publiques.<br />Par sa globalité et son ancrage dans un agenda de recherche émergent mais sous-exploré, à la charnière entre sociologie électorale et analyse des politiques publiques, le projet PARTIPOL ambitionnait de questionner le diagnostic commun d’une crise démocratique en évaluant empiriquement le poids effectif des élections dans les décisions politiques au niveau national.

Notre démarche a été ajustée à un contexte largement exploratoire dans lequel peu de résultats étaient disponibles et peu de théories pouvaient être considérées comme établies. Nous nous sommes efforcés de forger, puis d’affiner nos hypothèses en séquençant des analyses large-N et small-N. Les premières, ancrées à un niveau très macro, nous ont permis une première exploration en couvrant un grand nombre de cas : analyse du profil thématique de l’ensemble des programmes électoraux – législatifs et présidentiels – des partis et des candidats vainqueurs depuis 1981 et des lois adoptées au cours de leur mandat ; puis analyse de la réalisation de l’ensemble des promesses inscrites au programme du président (ou du premier ministre en période de cohabitation) depuis 1995.
Ces analyses statistiques, associées à un important travail théorique et conceptuel, nous ont permis de formuler un ensemble d’hypothèses relatives aux conditions susceptibles de moduler l’influence des élections sur les politiques de l’exécutif. Ces hypothèses représentaient un jalon important, mais n’avaient pu être testées que de façon relativement fruste, sans pouvoir rendre compte des mécanismes causaux, et demandaient à être affinées et circonstanciées. Elles ont été exploitées pour cibler des cas de promesses électorales particulièrement fertiles sur lesquelles nous avons réalisé des études de cas qualitatives mobilisant des sources (entretiens semi-directifs avec les acteurs, analyse d’archives) et des méthodes complémentaires (triangulation, process-tracing). Ce travail, plus favorable à l’induction théorique, nous a non seulement permis d’affiner les hypothèses issues des analyses statistiques, mais aussi d’en formuler de nouvelles.
Les derniers mois du projet ont donné lieu à un retour au niveau macro. Nous nous sommes alors efforcés de retravailler notre base de données relative aux promesses électorales pour tester les hypothèses qui avaient émergé dans le cadre des enquêtes de terrain.

Le projet a généré plusieurs résultats marquants. Contrairement aux perceptions répandues, les promesses électorales ne semblent pas formulées à la légère. Les partis et leurs candidats investissent des ressources considérables et croissantes dans leur production. Les programmes électoraux sont devenus plus opérationnels, plus précis, et sont beaucoup mieux tenus qu’on ne le pense, avec un taux de réalisation supérieur à 60% depuis 1995.
Notre analyse du rôle de mise à l’agenda législative des programmes électoraux (1981-2012) et de la réalisation du programme de N. Sarkozy pour l’élection 2007 suggère que le sort d’un engagement électoral dépend à la fois de la capacité (technique, institutionnelle, politique) des dirigeants à s’y conformer, mais aussi de leurs motivations (idéologiques, électorales et politiques) à utiliser leurs ressources pour le faire.
Dans le cadre de gouvernements de coalition, nous observons une très forte prédominance des promesses électorales formulées par le courant majoritaire du principal parti de gouvernement.
Les études de cas qualitatives (dossier de la Revue française de science politique) ont mis en évidence plusieurs conditions et mécanismes restés invisibles au niveau agrégé et statistique. Il n’est pas rare que les formes de désengagement résultent d’obstacles qui n’avaient pas été anticipés (ou sciemment ignorés) avant l'élection. Nos résultats conduisent néanmoins à nuancer le rôle de la capacité, en tout cas en tant que facteur déterministe. Le président élu peut convertir les ressources tirées de son « mandat démocratique » ou d’une forte popularité en marges de manœuvre politiques ou budgétaires. Ces marges de manœuvre soulignent l’importance des motivations de l’exécutif à tenir parole - qui sont, elles aussi, susceptibles d’évoluer une fois l’élection passée. Un facteur semble central, bien qu'ignoré dans la littérature : les caractéristiques des groupes ciblés, en positif ou en négatif, par les promesses électorales.

Le projet PARTIPOL a permis d’effectuer des avancées considérables dans un domaine jusqu’alors sous-étudié, situé à la charnière entre sociologie politique et analyse des politiques publiques. Un ensemble considérable de données variées et complémentaires a été rassemblé et exploité, avec plusieurs résultats marquants dont le principal est probablement l’observation de la réalisation d’un nombre important d’engagements électoraux. Notre enquête qualitative a permis de mettre en perspective ces résultats en révélant les mécanismes d’influence, les perceptions et les considérations des acteurs. L’entrée par les promesses nous a permis d’enquêter au cœur des partis de gouvernements et des cercles autour de l’exécutif, ce qui n’a pas manqué de générer des observations passionnantes qui n’ont pas toutes été exploitées dans les publications déjà parues. Ainsi, le projet PARTIPOL ne manquera pas d’alimenter les recherches de l’équipe, de jeunes chercheurs et de la communauté en cours de structuration autour de l’objet des promesses électorales pour de nombreuses années à venir.

- Guinaudeau I. (2014) Toward a Conditional Model of Partisanship in Policymaking. French Politics, 12(3) : 265-281.
- Persico S. (2016) Déclarer qu’on va protéger la planète, ça ne coûte rien. Les droites françaises et l’écologie (1971-2015). Revue française d’histoire des idées politiques, 44, p. 157-186.
- Bouillaud C., Guinaudeau I., Persico S. (2017) Parole tenue ? Une étude de la trajectoire des promesses du président Nicolas Sarkozy (2007-2012). Gouvernement et action publique, 2017/3, p. 85-113.
- Direction (par I. Guinaudeau et S. Persico) du dossier d'avril 2018 de la Revue française de science politique consacré à la réalisation des promesses électorales, avec les contributions suivantes :
• Guinaudeau I., Persico S.: Introduction
• Cos R.: Dénoncer le programme. Les logiques du désengagement électoral au révélateur des privatisations du gouvernement Jospin.
• Deront E., Evrard A., Persico S.: Tenir une promesse électorale sans la mettre en œuvre. Le cas de la fermeture de Fessenheim.
• Guinaudeau I., Costa O.: Quelle est la cible? Les conditions de réalisation des promesses électorales distributives à la lumière de la hausse du minimum vieillesse de 2008.
• Guinaudeau I., Saurugger S.: Entrepreneurs politiques et engagement électoral. La loi LRU et le rôle de la Conférence des présidents d’université.
• Abrial S., Persico S.: Les coûts cachés d’une promesse incontournable. L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe.
- Brouard S., Grossman E., Guinaudeau I., Persico S., Froio C. (2018) Do party manifestos matter in policymaking ? Capacities, incentives and outcomes of electoral programmes in France. Political Studies
- Guinaudeau I., Persico S. (à paraître) Coalition Politics in France : Presidential Leadership Beyond Parties. Dans : Bergman T., Bäck H. and Hellström J. (dirs.) Coalition Governance in Western Europe. Oxford University Press, 2019.

Les liens entre partis et politiques publiques sont au cœur de l’exercice démocratique. Depuis plusieurs décennies, une série de discours politiques et scientifiques mettent pourtant en avant plusieurs types de contraintes, liées notamment aux interactions avec d’autres acteurs, à la compétition internationale, à l’intégration européenne, à la limitation des ressources énergétiques, etc. L’espace politique disponible pour se démarquer des partis concurrents serait toujours plus exigu. Les politiques sont-elles (de plus en plus) indépendantes de la politique ? Les joutes politiques se résument-elles désormais à une mise en scène ? PARTIPOL examine, à partir du cas français, ce décalage apparent entre, d’une part, théories normatives et discours de légitimation de la démocratie et, d’autre part, pratiques de représentation. La question de l’empreinte des partis sur les politiques est ancienne mais il semble toujours difficile de lui apporter une réponse empirique. Ce projet part de l’observation que le contexte français, marqué par des alternances régulières et récentes, offre un cas stimulant dont l’étude permettra de surmonter les conclusions mitigées du débat du « Do Parties Matter ». Nous nous appuierons pour cela sur quatre stratégies innovantes :
1) La prise en compte de la conception qu’ont les représentants et les élites partisanes du rôle des partis dans l’exercice démocratique, de façon à mettre leurs pratiques en perspective normative.
2) La différentiation de la problématique, pour nous concentrer sur les conditions favorisant l’adoption de politiques partisanes.
3) L’adoption d’une conception souple de la causalité, impliquant d’examiner en détail le processus d’agrégation des intérêts au sein des organisations partisanes et la manière dont l’exercice du pouvoir peut altérer ce processus. Les partis à l’épreuve des politiques ?
4) Une opérationnalisation fine des préférences partisanes et des choix de politique publique.

Cet enrichissement et cette différentiation du « Do Parties Matter » exige une étude empirique ambitieuse. Afin d’établir comment l’empreinte partisane sur les politiques varie en fonction du type d’enjeu, l’étude proposée compare des enjeux de distribution, de régulation et de redistribution aux degrés différents de visibilité médiatique (énergie nucléaire ; immigration illégale ; contribution sociale généralisée (CSG) ; impôt sur la fortune ; brevets industriels ; organismes génétiquement modifiés). Les politiques publiques et leur fabrique seront appréhendées au prisme du processus de législation. Les quatre stratégies ci-dessus ont guidé la définition d’un protocole de recherches comparatif et mixte, combinant des analyses, enjeu par enjeu, des lois adoptées, des discours partisans et de la couverture médiatique, et des entretiens avec des élites partisanes et des députés, portant sur le processus de législation, le rôle des partis et des préférences et identités partisanes, ainsi que sur la manière dont l’implication les partis sont peut-être eux-mêmes transformés par leur implication dans le processus de législation.

L’étude proposée, par sa globalité et son ancrage dans un agenda de recherche émergent mais sous-exploré, à la charnière entre étude des partis et des politiques publiques, apportera une contribution décisive au mouvement actuel de structuration de « legislative studies » françaises. Notre ambition est d’éclairer les représentations et les pratiques de « policy representation », les « contraintes » comme des paramètres et des ressources dans le processus législatif et le rapport des policymakers aux médias. Nous questionnerons également le diagnostic commun d’une crise de la représentation politique qui s’exprimerait à travers la faible participation, l’émergence de partis anti-système et la défiance croissante envers les élites politiques – souvent attribuées à un manque de réactivité démocratique de la part des partis au pouvoir.

Coordination du projet

Isabelle GUINAUDEAU (Laboratoire Politiques Publiques, Action Politique, Territoires) – isabelle.guinaudeau@sciencespo-grenoble.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

PACTE Laboratoire Politiques Publiques, Action Politique, Territoires
CED CENTRE EMILE DURKHEIM

Aide de l'ANR 139 995 euros
Début et durée du projet scientifique : février 2014 - 42 Mois

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