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Ingénieurs et société en Inde coloniale et post-coloniale – ENGIND

ingénieurs et société en Inde coloniale et post-coloniale

La profession d’ingénieur incarne les transformations qui affectent l’Inde contemporaine. Elle symbolise les hypothétiques « classes moyennes » et la puissance émergente de l’Inde sur le marché international du travail. En dépit de leur place dans l’économie et la structure sociale du pays, les ingénieurs ont été peu étudiés. Le projet ENGIND veut combler cette lacune empirique, en analysant dans une perspective socio-historique le rôle joué par ce groupe dans la construction de l’Inde moderne.

Consolider le savoir empirique et comprendre les voies suivies par le développement économique en Inde

Le projet ENGIND s’est assigné deux principaux objectifs scientifiques. <br />Le premier consiste à consolider et à enrichir le savoir empirique dans un champ qui a été jusque là largement négligé par la recherche. On manque à ce jour de travaux à visée explicative large, et notamment d'études qui envisagent l’objet dans une perspective socio-historique. Or il faut poser la question des fondements de la puissance technologique actuelle de l’Inde et notamment de la place qu'y tient l’héritage de la colonisation britannique, pendant laquelle furent mises en place à la fois les premières institutions de formation en ingénierie et les premières associations professionnelles de cette branche. <br />Le second objectif scientifique est de rompre avec les conceptions encore très euro-centristes qui prévalent dans l’analyse des processus de professionnalisation et de développement capitaliste. Par l’étude de cette main-d’œuvre qualifiée, nous espérons ainsi contribuer à la compréhension des voies suivies par le développement économique indien. Le cas de l’Inde offre aussi l’opportunité de confronter les analyses classiques des professions, forgées par des études menées sur les espaces occidentaux, notamment sur le plan de la division du travail, à une réalité sociale complexe où interagissent un système de castes hérité et l’émergence de professions « modernes » nées du développement économique et de la recomposition du marché mondial du travail. L’ambition est donc de produire des savoirs empiriques et théoriques nouveaux, en dépassant les barrières disciplinaires et les limites conceptuelles et méthodologiques imposées par des oppositions binaires telles que Nord/Sud, occidental/non-occidental, etc. <br />

La composition de l'équipe d'ENGIND, qui rassemble sociologues et historiens, spécialistes de l'Asie du Sud et de l'Europe, chercheurs français et indiens, reflète une des ambitions du programme : tenter de revisiter l'analyse des processus d'industrialisation et du changement social, souvent héritée de l'étude des seuls exemples occidentaux.
Nous procéderons par des études de cas précises, qui couvrent la majeure partie de l'Inde. Le travail collectif, entamé depuis 2009, a permis de définir un certain nombre de terrains ou de groupes jugés représentatifs et/ou des entrées thématiques qui nous permettent d’articuler l’institutionnalisation de la profession et étude des évolutions de la société indienne (minorités religieuses, genre, etc.).
Nous projetons d'entreprendre aussi bien des analyses quantitatives (pour analyser notamment l'évolution ou l'inertie de la composition sociale des différents groupes étudiés) que qualitatives (sur l'ethos, l'esprit de corps, le rapport au pouvoir politique, etc.), de façon à étudier le rôle joué par les ingénieurs dans les changements sociaux et économiques qui affectent l'Inde.
Dans un premier temps, toutefois, l’accent sera dans mis sur l’approche qualitative, qui permettra d’identifier des processus, des paramètres et des indicateurs. Ceux-ci serviront à élaborer un cadre analytique tenant compte des spécificités du contexte indien et pourront ensuite être utilisés pour des analyses quantitatives. Cette démarche nous semblait préférable à l’importation de variables forgées dans d’autres contextes.
Les sources mobilisées seront diverses et jusqu'à présent largement inexploitées. Outre les entretiens avec diverses catégories d'agents (ingénieurs, dirigeants d'entreprises, fonctionnaires d'Etat, etc), nous aurons recours à un large éventail de documents: archives des instituts de formation et des associations professionnelles, archives des associations d'anciens élèves, journaux spécialisés, etc.

L’essentiel du travail de l’équipe, jusqu’à présent, a consisté en la collecte et l’organisation de données. 52 semaines de mission ont été réalisées dans ce but.
Le travail ethnographique a été mené dans sept villes, aussi bien au Nord (New Delhi, Kanpur, Dehra Dun, Kota) qu’au Sud de l’Inde (Nagpur, Trivandrum, Bangalore). Les différentes enquêtes peuvent être regroupées en trois thématiques :
- les ingénieurs au travail,
- l’évolution du secteur éducatif de l’ingénierie
- la question de la mobilité sociale et des trajectoires professionnelles des étudiants formés dans les institutions d’élite.
Pour le versant historique, le travail s’est orienté dans deux directions complémentaires : l’étude, d’une part, de la main-d’œuvre qualifiée du Ministère des Travaux Publics dans la Présidence de Bombay et, d’autre part, des ingénieurs employés dans le secteur privé à Calcutta. Ces deux enquêtes couvrent la même période (1880-1950) et ont motivé la collecte d’archives dans huit centres situés en Inde et en Grande-Bretagne.
L’ensemble des enquêtes a permis de collecter un matériau empirique conséquent : archives, rapports officiels, annuaires d’anciens élèves, 171 entretiens, 700 questionnaires, etc. Un traitement qualitatif est en cours sur une partie de ce matériau – et notamment sur les entretiens.
Sept bases de données ont aussi été constituées à partir d’informations collectées sur le terrain ou dans les archives. Deux concernent les carrières et caractéristiques sociales des ingénieurs du Ministère des Travaux Publics à l’époque coloniale et contemporaine, trois autres documentent les dirigeants – souvent des ingénieurs – des plus grandes entreprises du secteur informatique indien, une les caractéristiques sociales et scolaires d’un échantillon de 700 étudiant-e-s des coaching centers et une dernière les trajectoires professionnelles des professeurs d’ingénierie de l’IIT de Kanpur. Le traitement statistique de ces données est en cours.

Nous ambitionnons d'ouvrir de nouvelles perspectives dans trois champs de recherche :
1 - Essor de la profession et l’évolution de la stratification de la société indienne. L’institutionnalisation de la profession depuis la fin du XIXe siècle, puis les politiques volontaristes du nouvel état indépendant, ont-elles permis à certains groupes défavorisés (Dalits, femmes, etc.) d’accéder à une certaine mobilité sociale ? Comment les inégalités – notamment genrées – sont traduites au sein de la profession ?

2- Le second axe problématique analysera le rôle joué par les ingénieurs dans le développement économique du pays. Quelle fut leur implication dans l’émergence des politiques de « développement » au lendemain de l’Indépendance ? Quelles positions occupent-ils dans le secteur industriel et au sein de l’Etat ? Ces interrogations visent à appréhender les spécificités nationales du développement capitaliste en Inde depuis l’époque coloniale.

3- Le dernier axe s’attachera, enfin, à étudier la recomposition du groupe professionnel dans le contexte de la globalisation du marché du travail. Comment, depuis les années 1990 et l’ouverture de l’économie du pays à la concurrence, les ingénieurs indiens ont-ils réagi à l’arrivée d’une main d’œuvre étrangère hautement qualifiée ? Quel est l’impact sur l’organisation de la profession en Inde des mobilités internationales et notamment du retour d’une fraction des ingénieurs qui s’étaient exportés à l’étranger ?

La diffusion de nos résultats s'effectuera principalement par trois canaux : la publication d'un ouvrage collectif en anglais, la constitution d'un dossier pour une revue internationale centré sur notre réflexion sur les spécificités du cas indien et sur la manière dont l’étude de celui-ci peut amener à repenser certains processus et enfin la mise en place d'une exposition virtuelle, qui rendra accessibles, de manière attrayante, nos résultats à un public plus large.


Roland Lardinois, en collaboration avec P. Vignesh Illavarasam, Le secteur des technologies de l’information et de la communication en Inde, Les études de l’emploi cadre, n°2014-07, Février 2014, Association pour l’emploi des cadres, Paris, 142 pages.

cadres.apec.fr/Emploi/Observatoire-de-l-emploi/Les-etudes-Apec-par-thematique/Region-et-international2/Secteur-des-TIC-et-informaticiens-en-Inde

Roland Lardinois (à paraître) « L’espace social des écoles d’ingénieurs en Inde. Entre l’État et le marché », in : Derouet, A. et Paye, S. (Eds.) Les ingénieurs : unité, expansion, fragmentation, XIXe et XXe siècles. Tome 1 : La production d’un groupe social. Collection « Histoire des techniques », Paris : Classiques Garnier.

Plus que toute autre, la profession d’ingénieur semble incarner les transformations qui affectent aujourd’hui l’Inde contemporaine. Elle symbolise à la fois les hypothétiques « classes moyennes » qui seraient en train d’émerger et le positionnement de la puissance émergente de l’Inde sur le marché international du travail, le pays étant devenu l’une des destinations de prédilection des grandes firmes de technologie. Chaque année l’Inde délivre 350 000 diplômes d’ingénieur.
De tels chiffres et la puissance technologique actuelle du pays ne peuvent cependant être compris que dans une perspective historique, notamment en ressaisissant la période de domination coloniale. L’Inde apparaît en effet comme un cas particulier, les Britanniques y ayant ouvert dès les années 1840 des Engineering Colleges, alors même que dans la métropole les cursus d’ingénierie ne sont institutionnalisés qu’au début du XXe siècle. La main-d’œuvre locale ainsi formée devait contribuer à la mise en exploitation de la colonie. Au lendemain de l’Indépendance, le développement économique et social du pays est perçu comme principalement conditionné par la maîtrise de la technologie. L’une des priorités des autorités devient de permettre la formation d’une main d’œuvre hautement qualifiée, qui se voit attribuer un rôle central dans la mise en œuvre des programmes de développement élaborés dans le cadre de la planification économique des années 1950-1970, et notamment dans la « Révolution Verte ».
En dépit de la place que les ingénieurs ont tenu et tiennent dans l’économie et la structure sociale du pays, ils ont fait l’objet de très peu d’études. Le projet ENGIND se propose de combler cette lacune empirique, en analysant dans une perspective socio-historique le rôle joué par ce groupe dans la construction de l’Inde moderne. Trois principaux questionnements orienteront l’analyse. Le premier cherchera à étudier les relations entre l’essor de la profession et l’évolution de la stratification de la société indienne. L’institutionnalisation de la profession depuis la fin du XIXe siècle, puis les politiques volontaristes du nouvel état indépendant, ont-elles permis à certains groupes défavorisés (Dalits, femmes, etc.) d’accéder à une certaine mobilité sociale ? Comment les inégalités – notamment genrées – sont traduites au sein de la profession ? Le second axe problématique analysera le rôle joué par les ingénieurs dans le développement économique du pays. Quelle fut leur implication dans l’émergence des politiques de « développement » au lendemain de l’Indépendance ? Quelles positions occupent-ils dans le secteur industriel et au sein de l’Etat ? Ces interrogations visent à appréhender les spécificités nationales du développement capitaliste en Inde depuis l’époque coloniale. Le dernier axe s’attachera, enfin, à étudier la recomposition du groupe professionnel dans le contexte de la globalisation du marché du travail. Comment, depuis les années 1990 et l’ouverture de l’économie du pays à la concurrence, les ingénieurs indiens ont-ils réagi à l’arrivée d’une main d’œuvre étrangère hautement qualifiée ? Quel est l’impact sur l’organisation de la profession en Inde des mobilités internationales et notamment du retour d’une fraction des ingénieurs qui s’étaient exportés à l’étranger ? Il s’agira d’entreprendre une étude sur la longue durée des différentes logiques de protection du marché national portées principalement par l’Etat et par les associations professionnelles héritées de la période coloniale, et de leurs limites contemporaines.
La composition de l’équipe d’ENGIND, qui rassemble historiens et sociologues, spécialistes du sous-continent indien et de l’Europe, chercheurs français et indiens, traduit, enfin, une des ambitions scientifiques du projet qui est, à partir du cas indien, d’interroger les modèles proposés pour comprendre les processus de changement social et d’industrialisation, bien souvent hérités de l’étude des espaces occidentaux.

Coordination du projet

Vanessa Caru (Centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CEIAS Centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud
CEIAS Centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud

Aide de l'ANR 252 400 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2013 - 42 Mois

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