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Expansion de la finance de marché et production urbaine en Asie, le cas de la Chine et de l'Inde – FINURBASIE

La financiarisation de la production urbaine en Chine et en Inde

La financiarisation de l’immobilier étant à l’origine de crises systémiques devenues récurrentes, il est crucial de prendre la mesure de sa progression dans les pays les plus peuplés de la planète, sièges d’une forte croissance économique et urbaine. Or, les connaissances sur ce point sont singulièrement lacunaires. Le projet FINURBASIE entend donc explorer les rouages transrégionaux et transnationaux qui régissent le financement de la croissance urbaine en Chine et en Inde.

Caractériser les circuits d’investissement financier dans l’immobilier, observer les modalités d’ancrage territorial des capitaux et leurs effets induits sur la structure urbaine.

L’ambition du projet est de dépasser des approches générales, a-spatialisées, pour examiner les géographies de ces circuits financiers et souligner leurs processus de différentiation territoriale. Cela implique de lever les obstacles liés à l’opacité de l’information dans ces pays en développant une connaissance fine des arrangements entre les gestionnaires de fonds et les industries immobilières locales, de façon à étudier leur influence sur la fabrication matérielle, symbolique et politique des espaces urbains. Cet important apport empirique doit permettre d’évaluer la vulnérabilité de ces pays aux risques systémiques et nourrir la théorisation encore embryonnaire des liens entre globalisation financière et aménagement urbain. <br /><br />Au-delà des enjeux liés à la connaissance empirique des modalités de la production urbaine dans ces deux puissances émergentes, c’est un véritable défi théorique qui est lancé. Car aucune des disciplines des sciences sociales n’est en mesure d’articuler les champs de la finance et de l’aménagement urbain. La science économique n’est pas parvenue à intégrer les dynamiques territoriales de l’immobilier dans ses paradigmes. Quant aux autres disciplines traditionnellement impliquées dans la recherche urbaine (géographie, sociologie, science politique), elles n’ouvrent pas véritablement la « boîte noire » de l’investissement financier. Les récentes crises ont néanmoins stimulé le développement de travaux en géographie financière à partir des années 1990. Cette communauté se focalise sur les recompositions géographiques des activités financières et les mutations spatiales des centres financiers, mais les analyses restent dominées par la théorie du « capital switching » de David Harvey (1978) qui reste à un trop grand niveau de généralité. Le projet FINURBASIE s’appuie pour cela sur la notion « d’ancrage du capital », portant à la fois sur la (re)territorialisation et la matérialisation du capital financier dans un contexte urbain situé.

En Chine comme en Inde, l’identification des formes et de la régulation des circuits financiers d’investissement immobilier a été permise par des enquêtes auprès d’une grande variété d’acteurs dans des territoires métropolitains — sièges privilégiés des placements financiers—, mais aussi dans des plus petites entités urbaines. Ce matériau empirique a été utilement complété par l’exploitation d’articles de presse et de rapports issus de l’industrie immobilière. Dans un deuxième temps, nous avons analysé la montée en puissance d’un petit nombre de promoteurs impliqués dans la médiation de l’investissement financier étranger. Enfin, des bases de données sur la Chine ont été exploitées pour visualiser à grande échelle les liens capitalistiques entre entreprises dans les secteurs de la construction/immobilier/architecture (données ORBIS), et modéliser les effets des transferts de capitaux des villes vers les campagnes par les investissements immobiliers des migrants dans leur région d’origine (China Household Income Project Survey).

La comparaison Chine-Inde révèle trois principaux points de convergence : la faiblesse des flux entrants de capitaux financiers vers l’immobilier; la montée en puissance des promoteurs locaux pour ancrer le capital étranger; le fort soutien de l’Etat au processus de financiarisation. Cependant, alors que l’expérience indienne s’apparente à celles d’autres pays émergents, la Chine emprunte une trajectoire inédite par une financiarisation informelle croissante du cadre bâti encouragée par l’Etat, caractérisée par une forte fragmentation et une prédominance des acteurs nationaux ; si la faiblesse des circuits financiers transnationaux limite potentiellement les risques systémiques, le contrôle insuffisant de la « finance grise » et le rôle primordial tenu par l’immobilier dans le placement de l’épargne expose la Chine à la menace d’une crise multidimensionnelle en cas de retournement de l’actuel mécanisme spéculatif.

Au-delà de cette recherche, nos travaux pourront être prolongés dans trois grandes directions :
1. Poursuivre la comparaison Inde-Chine en développant d’autres aspects tels que le rôle du foncier/immobilier dans les stratégies de carrière des cadres municipaux, et les effets subséquents sur les formes de l'aménagement urbain.
2. Explorer l’investissement immobilier transnational des gestionnaires d’actifs et des promoteurs chinois. Des enquêtes de terrain ont été amorcées en Malaisie dans le cadre du projet FINURBASIE
3.Approfondir la connaissance des circuits de capitaux financiers dans l'immobilier par l’exploitation de la base de données ORBIS. Le travail mené sur la Chine à partir de cette base mérite d’être approfondi, et complété par une exploitation sur l’Inde.

Selection

1. Varrel, A. (2013), NRIs in the City. Identifying International Migrants’ Investments in the Indian Urban Fabric. South Asia Multidisciplinary Journal, 6,
2. Varrel, A. (2014), «L'émergence d'un marché transnational de l'immobilier indien«. Autrepart, Revue de sciences sociales aux suds, Paris, Presses de Science Po, 68.
3.Halbert L., Rouanet H. (2014), Filtering risks away: Global finance capital, transcalar territorial networks and the (un)making of city-regions :an analysis of business property development in Bangalore, India », Regional Studies, 48, 3, 471- 484.
4.Theurillat, T. (2016), The role of money in China’s urban production : the local property industry in Qujing, a fourth-tier city, Urban Geography, 1-27 (online version).
5.Theurillat, T. et Donzé, P.-Y. (2017), Retail networks and real estate : the case of Swiss luxury watches in China and Southeast Asia, The International Review of Retail, Distribution and Consumer Research, 27, 2, 126-145.
6.Halbert, L. Attuyer, K. (2016), Special Issue Introduction, « Introduction: financialization of urban production » Urban Studies, 53,7, 1347-1361.
7.Rouanet, H., Halbert L. (2016), Leveraging finance capital: Urban change and self-empowerment of real estate developers in India, Urban Studies 53, 7, 1401-1423.
8.Aveline-Dubach, N. (2017a) Special Issue, Land and real estate in Northeast Asia, new approaches in an era of financialization, I&S, 52, 4.
9.Aveline-Dubach, N. (2017b) Embedment of ‘liquid’ capital into the built environment, the case of REIT investment in Hong Kong, I&S,52, 4
10.Theurillat, T., Lenzer, J. et Zhan, H. (2017), The increasing financialization of China’s urbanization, I& S, 52, 4.
11.Theurillat, T., (2017), Le financement de la croissance urbaine en Chine : le cas d’une ville moyenne du Yunnan, Qujing, Perspectives Chinoises , 1, 57-68.
12. Aveline-Dubach, N. (2017c), « La centralité du foncier dans le régime d’accumulation du capital en Chine », Revue de la Régulation

Porté par le Centre d’Etudes sur la Chine Contemporaine (CEFC) et le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS), le projet FINURBASIE interroge les modalités de la « financiarisation » des filières de production urbaine en Chine et en Inde. Plus précisément, ce projet explore, dans ces grandes puissances démographiques en proie à une forte croissance urbaine, les formes prises par la circulation des capitaux financiers destinés à l’immobilier ainsi que leurs effets sur la production du bâti. Il relève d’enjeux liés, d’un côté, à la place de l’immobilier dans des économies de plus en plus intégrées internationalement et caractérisées par la multiplication des crises financières mondiales, et, de l’autre, aux modalités de financement de la croissance urbaine dans des grands pays « émergents ». L’ambition est de dépasser des approches générales, a-spatialisées, pour qualifier la géographie de ces nouvelles filières de financement de la ville et souligner les processus de différentiation territoriale dans leurs mécanismes de diffusion.
La déréglementation des marchés financiers a en effet généré l’expansion rapide des flux transnationaux de capitaux à l’échelle mondiale. La forte croissance économique et urbaine de grands pays émergents comme la Chine et l’Inde attirent ces capitaux vers les secteurs de l’immobilier et de la construction grâce à de bonnes perspectives de rentabilité et de plus-value. Loin d’irriguer les territoires de façon homogène, ces flux financiers empruntent des circuits socialisés et spatialisés qui privilégient les grandes places financières, lieux nodaux de la circulation du capital financier. Des dispositifs institutionnels s’instituent localement pour attirer ces capitaux, en maximiser les volumes, les ancrer dans les filières d’aménagement locales puis les diffuser dans des réseaux urbains secondaires.
La finance de marché étend ainsi son emprise sur une part croissante de la production du bâti. Son impact est d’autant plus visible qu’elle contribue de façon privilégiée à la réalisation de grands objets urbains – tours de bureaux et de logements, complexes immobiliers multifonctionnels, grands équipements et infrastructures « publiques » – dans des territoires principalement métropolitains. Mais son domaine d’influence s’étend bien au-delà de ce périmètre d’action. Elle infléchit les politiques publiques, les rendant plus accommodantes (politiques dites « néolibérales ») pour faciliter l’ancrage des capitaux, et souvent impuissantes à réguler ces flux quand la pression foncière vient menacer les équilibres urbains et sociaux. La pénétration croissante du capital financier dans la sphère urbaine institue par ailleurs de nouvelles normes dans la conception des projets immobiliers qui concourent à une certaine standardisation des programmes et formes architecturales, impactant de façon sensible les trames urbaines et la composition sociale des quartiers.
L’enjeu que revêt la pénétration croissante du capital financier dans la production urbaine en Chine et en Inde est considérable car ces deux nations concentrent 36% de la population mondiale et s’urbanisent très rapidement. Si la relative immaturité de leur système financier les a préservées jusqu’ici des crises systémiques, l’expansion de la finance de marché accélérera la convergence entre l’immobilier et la finance, ce qui accroîtra leur exposition aux cycles de la finance globalisée. Les effets sur l’économie mondiale en seront d’autant plus importants qu’une partie de la croissance de ces géants démographiques repose désormais sur la dynamique immobilière et la valorisation foncière. En dépit de ces forts enjeux, la recherche aborde très peu ces processus de financiarisation. Leur connaissance constitue donc un défi scientifique que le projet FINURBASIE entend relever.

Coordination du projet

Natacha Aveline-Dubach (Université)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

LATTS Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés

Aide de l'ANR 261 358 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2012 - 36 Mois

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