JCJC SVSE 6 - JCJC - SVSE 6 - Génomique, génétique, bioinformatique et biologie systémique

A morphologie convergente, développement convergent? Apports de la transcriptomique comparative du développement des dents – CONVERGDENT

Evolution répétée: une ou plusieurs recettes pour fabriquer la même forme?

La forme d'un organe comme la dent est le produit d'un programme de développement gouverné par l'expression des gènes. Quand des espèces acquièrent la même forme de dent au cours de leur évolution, convergent-elles aussi vers un même programme de développement de la dent, c.a.d utilisent-elles les mêmes gènes et de la même façon? Notre projet vise à répondre à cette question en comparant l'expression de l'ensemble des gènes (le transcriptome) pendant le développement de plusieurs espèces.<br />

Une convergence de forme chez deux espèces éloignées implique-t-elle (ou pas) une convergence du programme de développement qui produit cette forme?

Il existe de nombreux exemples d'évolution convergente, où des espèces acquièrent une même caractéristique chacune de façon indépendante au cours de leur évolution. L'étude de ces exemples peut nous renseigner sur la répétabilité de l'évolution, dans notre cas l'évolution du programme de développement de la dent, un modèle bien établi en évo-devo. Les mêmes options ont-elles été retenues au cours de l'évolution ou des options différentes permettent-elles de réaliser la même morphologie?<br />De façon plus générale, malgré les avancées de la biologie du développement, on comprend encore relativement mal comment l'information contenue dans le génome permet d'orienter le programme de développement d'un organe vers une morphologie finale particulière, spécifique de l'espèce, et différente de celle d'une espèce voisine. Comment évoluent les programmes de développement?<br />Notre projet utilise comme modèle la morphologie de la première molaire supérieure des rongeurs comme la souris et la souris épineuse, qui sont très ressemblantes bien que l'ancêtre commun à ces deux espèces ait eu une morphologie différente. Nous utilisons aussi deux espèces «contrôle«, dont la morphologie est restée plus ancestrale (le hamster et la gerbille), et la molaire inférieure dont la morphologie est plus conservée que celle de la molaire supérieure chez ces quatre espèces. Nous comparons le programme de développement de ces dents chez les quatre espèces, notamment en suivant les changements d'expression de l'ensemble des gènes (le transcriptome) au cours du temps. Nous cherchons à comprendre ce qui distingue les programmes de développement (divergence des programmes de développement) de ces espèces ou au contraire ce qui les rassemble toutes (conservation), en enfin ce qui rassemble plus spécifiquement les espèces convergentes mais pas les espèces contrôles (convergence). <br />

Comparer les programmes de développement de façon globale est une chose difficile. L'originalité de notre projet réside en particulier dans l'utilisation de la transcriptomique pour suivre et comparer le déroulement du programme de développement. Nous mettons à profit les dernières méthodes dites de séquençage massif (RNA-seq) pour suivre le niveau d'expression de l'ensemble des gènes du génome dans le germe dentaire en développement. Pour 3 des 4 espèces que nous étudions, nous ne disposons pas de génome, ce qui demande d'adapter des méthodes pour parvenir à une quantification satisfaisante de l'expression dans ces espèces. Un autre aspect majeur dans notre projet réside dans l'utilisation de méthodes d'analyses qui sont capables de tenir compte de différences globales dans l'expression des gènes mais aussi de révéler des différences à l'échelle d'un gène particulier.

Comparing developmental programs together is a difficult thing. The originality of our project lies in the use of transcriptomics to monitor and compare the progress of the developmental program. We use the latest so-called massive sequencing methods (RNA-seq) to track the level of expression of all genes in the developing dental germ. For 3 out of the 4 species we are studying, we do not have a genome, which requires adapting methods to achieve satisfactory quantification of expression in these species. Another major aspect of our project is the use of analytical methods that are able to account for global differences in gene expression and also to reveal differences at the level of a particular gene.

Le projet a donné lieu à des développements méthodologiques pour la comparaison de données RNAseq entre espèces non modèles et la comparaison des programmes de développement.
Nos études ont révélé les différences de programme de développement entre molaire inférieure et supérieure, notamment dans la phase précoce de morphogenèse. Nous révélons également un excès de mésenchyme spécifique à la molaire supérieure de souris, qui corrèle avec la formation de cuspides supplémentaires chez celle-ci, à la différence du hamster. De façon plus générale, nous montrons que les comparaisons de transcriptomes (de différents organes du même type ou du même organe dans différentes espèces) révèlent les variations d'abondance de certains types cellulaires. En réutilisant des jeux de données publiés, nous montrons que cette approche est généralisable à d'autres organes (membre inférieur/supérieur).
Une étude, non prévue au départ, montre aussi que le développement de la partie linguale de la molaire est radicalement différent de celui de la partie buccale, malgré une symétrie apparente, et cette asymétrie est exagérée dans la molaire supérieure en lien avec la formation des cuspides supplémentaires dans la partie linguale.
En comparant les programmes de développement des molaires inférieures et supérieures entre souris et hamster, nous avons aussi montré que les programmes de développement évoluaient très rapidement, même en absence de changement majeur de la morphologie (comme à la molaire inférieure). Nous proposons que cette fuite en avant soit une conséquence évolutive de la contrainte à utiliser les mêmes gènes pour produire des morphologies finales différentes entre molaires supérieures et inférieure.
L'analyse comparative des 4 espèces encore en cours suggère une réponse balancée sur la convergence du développement (même recette à une échelle globale, mais des différences dans le détail de la régulation moléculaire).

Perspectives: (nombre de caractères : 887/2000)
Les outils développés pour la quantification de l'expression dans des espèces non modèles seront utilisables par une large communauté s'intéressant à la transcriptomique comparative.
Nos résultats ouvrent un tout nouveau cadre méthodologique et conceptuel, basé sur un datamining poussé des transcriptomes développementaux, pour comparer et quantifier le développement sous l'angle des populations cellulaires en présence.
De plus nos résultats offrent des perspectives prometteuses sur l'évolution et le développement des molaires (origine évolutive des molaires, évolution du plan dentaire murin) et révèlent l'importance de la dérive des programmes de développement (changement en absence de changement morphologique final), largement sous-estimée à l'heure actuelle. Une meilleure prise en compte de ce processus nous semble pouvoir représenter une révolution à venir en Evo-devo.

Le projet a donné lieu à deux articles de revue publiés dans Journal of Experimental Zoology part B et Current Topics in Developmental Biology, un article accepté dans Genome Biology, 4 articles en cours de finalisation, de nombreuses communications scientifiques et de nombreux résultats encore en cours d'analyse. De plus, il a permis la création d'une équipe de recherche co-dirigée par les deux responsables scientifiques, Sophie Pantalacci et Marie Sémon.
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Pantalacci S and Sémon M, Transcriptomics of Developing Embryos and Organs: a raising tool for evo-devo; JEZB 2014 324(4):363-71
Urdy S, Goudemand N, Pantalacci S. Looking Beyond the Genes: The Interplay Between Signaling Pathways and Mechanics in the Shaping and Diversification of Epithelial Tissues. Curr Top Dev Biol. 2016;119:227-90.
Pantalacci S, Guégen L, Petit C, Lambert A, Peterkova R and Sémon M. Transcriptomic signatures shaped by cell proportions sheld light on comparative developmental biology. Accepté dans Genome Biology

L’évolution convergente est très étudiée car elle permet de mieux faire la part des contraintes et de la contingence dans l’évolution. Le panorama est assez complet pour les traits relativement simples (comme la pigmentation) : un phénotype semblable peut tout autant être le produit de mécanismes génétiques similaires que différents. En revanche, il n’est pas aussi clair pour la convergence des traits morphologiques complexes, dont l’étude est plus délicate et a été réalisée soit d’un point de vue développemental, soit d’un point de vue génétique, mais jamais des deux ensemble. Nous proposons d’allier ces deux approches par l’étude de la dynamique du transcriptome, qui peut à la fois représenter et expliquer le déroulement des interaction géniques qui contrôlent la progression du développement.

Notre modèle est une convergence de la morphologie dentaire chez deux espèces de rongeurs, la souris et la souris épineuse. La couronne de leur molaire supérieure présente deux cuspides (sommets) additionnelles, qui d’après les données paléontologiques sont apparues indépendamment dans les deux lignées. Le développement des dents est bien étudié chez la souris, et nous proposons de le comparer à celui de la souris épineuse grâce à une analyse temporelle comparative du transcriptome impliquant ces deux espèces, ainsi que la gerbille et le hamster qui ont gardé le nombre de cuspide ancestral. C’est aussi le cas des molaires inférieures des 4 espèces qui serviront également de contrôle.

Nous visons donc à obtenir et analyser un grand jeu de données de transcriptomique evo/devo. Cela implique : 1) de séquencer le transcriptome de bourgeons dentaires échantillonnés tout au long de la période de formation des cuspides, pour la molaire supérieure et inférieure des 4 espèces. 2) de quantifier l’expression des gènes à partir de ces données, un challenge dans le cas des espèces (toutes sauf la souris) dont le génome n’est pas séquencé. 3) d’analyser les données en cherchant des exemples de gènes montrant des convergences d’expression entre la souris et la souris épineuse. Nous proposons ensuite de quantifier la convergence au niveau du transcriptome, puis d’étudier la manière dont les changements convergents s’accumulent tout au long du développement.

Cette approche transcriptomique sera couplée à une analyse fouillée du développement des molaires dans les 4 espèces et intégrée à l’adaptation d’un modèle existant du développement des dents, qui permettra de faire des prédictions sur cette convergence. Nous proposons 4 axes d’étude : 1) Une morphologie convergente implique-t-elle un développement convergent à l’échelle morphologique ? 2) Une comparaison interspécifique des niveaux et des dynamiques d’expression permet-elle de détecter des gènes (ou des gènes appartenant à la même voie?) dont l’expression est convergente? 3) Quelle est l’intensité globale de la convergence à l’échelle du transcriptome et comment se distribue-elle au cours du développement ? 4) La convergence morphologique est-elle obtenue par de nombreuses combinaisons de paramètres du modèle mathématique, ou est-elle prédite comme un évenement rare ?

Nous pensons que les résultats de cette étude seront généralisables au delà du modèle dents de rongeur, car le développement des dents est représentatif de nombreux traits morphologiques. La comparaison interspécifique des transcriptomes d’organes en développement est un champ d’étude encore largement vierge que nous proposons de défricher, pour atteindre des conclusions globales sur l’évolution et le rôle des contraintes développementales, l’évolution des processus développementaux, et la dynamique du transcriptome pendant le développement. Ce projet est le fruit de l’association d’une développementaliste et d’une génomicienne, que nous espérons génératrice d’idées originales et interdisciplinaires, tant au niveau conceptuel que dans l’analyse des données. Ce projet a déja reçu le soutien du GENOSCOPE pour son volet séquençage.

Coordination du projet

Sophie PANTALACCI (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE) – sophie.pantalacci@ens-lyon.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IGFL CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE

Aide de l'ANR 205 000 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2011 - 48 Mois

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