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Le kharijisme ibadite dans le Maghreb médiéval (VIIIe-XIIIe siècles) : espaces, réseaux, modèles. – MAGHRIBADITE

L’ibadisme, une minorité au cœur de l’Islam

L’ibadisme, cette minorité oubliée qui se réclame pourtant d’un islam démocratique et originel, a joué un rôle central dans la formation de l’Islam et dans l’histoire du Maghreb. Ce projet constitue une invitation à repenser le statut de la dissidence et la fabrique de l’orthodoxie en Islam.

Histoire des minorités ibadites au Maghreb médiéval

L’ibadisme, un islam des marges ? On pourrait le croire, tant cet héritier assagi de la nébuleuse kharijite se réduit aujourd’hui à quelques îlots dispersés (Oman, Zanzibar, Maghreb). Cette minorité oubliée, qui se réclame d’un islam « démocratique » originel, a pourtant joué un rôle historique important, qui nous donne à repenser le statut de la dissidence et la fabrique de l’orthodoxie en Islam. Ce projet entend revisiter l’histoire du Maghreb médiéval en retraçant l’évolution de cet archipel mouvant de l’ibadisme, jusqu’au triomphe de l’orthodoxie malikite au XIIIe siècle. Priorité est donnée à l’exploration d’un gisement de sources inexploitées, au décryptage de la contre-mémoire singulière de cette secte, et à l’analyse des cultures matérielles qui en signent les redéploiements successifs. Encore relativement marginale, l’histoire de l’ibadisme pourra contribuer dans l’avenir à irriguer les études islamiques, en particulier grâce à l’abondance et à l’ancienneté du patrimoine textuel préservé par la communauté.

Maghribadite explore l'histoire des minorités ibadites dans l'Islam médiéval, plus particulièrement au Maghreb. Croisant ressources textuelles, éditées ou manuscrites, et données de la culture matérielle, l'enquête porte sur les modèles constitutifs de cette mouvance oubliée de l'islam, et tente de recomposer ses ancrages territoriaux, son évolution, ses modes d'organisation politique et territoriale, et son insertion dans des champs d'interaction économique et sociale plus larges.

Notre équipe réunit onze spécialistes européens et maghrébins. Dans le Mzab et à Djerba, les associations de sauvegarde des manuscrits nous ont donné accès à un filon majeur, bien que méconnu, de l’histoire du Maghreb. L’étude historique et archéologique des territoires d’implantation de l’ibadisme s’avère elle aussi prometteuse et devra se poursuivre sur le terrain. Avec le soutien de la Fondation van Berchem et l’aide de ses archives inédites, nous terminons une monographie écrite à trois sur le site archéologique de Sedrata (Ouargla), un carrefour saharien florissant aux Xe-XIIIe siècles. En 2012, la direction d’un volume de la REMMM et l’organisation d’un colloque international à Madrid avec la Casa de Velázquez, le CSIC et le ministère des Affaires religieuses d’Oman nous ont permis d’internationaliser nos recherches.

Ces premières années de recherche nous ont permis d’ouvrir des pistes ou de tester leur validité. Les années 2013-2014 nous permettront tout d’abord de terminer la composition d’une base de données biographique et toponymique. Nous voudrions aussi terminer plusieurs chantiers entamés : rédiger une première synthèse historique et archéologique des connaissances sur le peuplement et les formes d’organisation du Mzab à l’époque médiévale ; traduire et analyser le Kitab al-Jawahir d’Abu l-Qasim al-Barradi (XIVe siècle), l’un des monuments controversés de la mémoire ibadite maghrébine et orientale ; compléter notre enquête sur la constitution de la mémoire historique de l’ibadisme maghrébin. Enfin, de nouvelles enquêtes seront entamées, sur la culture matérielle de la capitale de l’imamat rustamide aux VIIIe-Xe siècle, Tahert, et sur les autres oasis sahariennes marquées au Moyen Age par la présence ibadite (Oued Righ, Souf, Djérid, Fezzan).

Un ouvrage collectif a été édité par C. Aillet, L’ibadisme, une minorité au cœur de l’Islam, numéro spécial de la Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, nº 132, 2012. Consultable en ligne (http://remmm.revues.org/7711), c’est la première publication collective consacrée à cette branche de l’islam. Suivant une démarche résolument transpériodique, elle réunit dix articles en français et en anglais. Plusieurs autres articles ont été publiés par les membres de l’équipe, qui prépare actuellement la publication des actes du colloque de Madrid (déc. 2012) et d’une monographie sur le site archéologique de Sedrata et le bassin de Ouargla, l’un des grands carrefours du commerce transsaharien à l’époque médiévale.

Des trois branches de l’islam, on connaît surtout le sunnisme et le shiisme. Le kharijisme est bien moins connu du grand public et des spécialistes. Or il a occupé une place importante dans les conflits et débats de l’Islam des VIIe-IXe siècles, notamment en contestant la théorie d’un imamat héréditaire et absolu, réservé aux Quraysh. Au Maghreb, il a joué un rôle notable, alimentant les révoltes « berbères » du VIIIe siècle et suscitant la création des premiers pouvoirs autonomes, dont la réalisation la plus aboutie fut l’imâmat de Tâhert, qui domina le Maghreb central jusqu’à sa chute face aux Fatimides en 909. Le kharijisme contribua aussi à la pénétration de l’islam dans les tribus berbères et les régions du Sahara, voire du Sahel.
Cependant, l’histoire du Maghreb continue à être écrite à travers le prisme du malékisme, triomphant à partir du XIIe siècle. Le kharijisme – et sa forme survivante, sur laquelle nous nous concentrons, l’ibadisme – est le parent pauvre de l’histoire du Maghreb. Pourtant, alors que l’on souligne la rareté des sources sur les premiers siècles du Maghreb, la littérature ibadite remonte au IXe siècle et constitue le plus riche conservatoire de cette mémoire.
Présenté comme le symbole d’un âge d’or perdu, l’imamat de Tâhert ne résuma pas à lui seul l’ibadisme médiéval, dont l’évolution après 909 constitue presque une terra incognita. Faute d’une enquête plus complète, les fouilles de Marguerite Van Berchem (1950-1951) n’ont apporté que des données partielles sur Sédrata et l’oasis d’Ouargla, lieu de redéploiement de l’ibadisme aux Xe-XIIIe siècles. Amoindris en Ifrîqiyya par la conquête fatimide et l’activisme des malékites, les Ibadites durent se concentrer dans le Djebel Nafûsa et se déplacer vers Djerba et les marges sahariennes (oued Righ, Ouargla, Mzâb). Dans le Mzâb les quatre premiers qsûr de la future pentapole naquirent aux XIe-XIIe siècles. Ce système polycentré exigeait de profondes mutations : l’abandon de l’imamat puis, au milieu du XIe siècle, la fondation de la halqa, « cercle » d’hommes de religion exemplaires assurant le gouvernement juridico-religieux de ces communautés dispersées. Articulé par les déplacements des savants, l’archipel de l’ibadisme rassembla et élabora parallèlement, aux XIe-XIIIe siècles, sa mémoire des origines, d’autant plus idéalisée que le temps de la « manifestation » avait cédé la place au règne du « secret ». Notre enquête s’arrêtera au XIIIe siècle, période où Ouargla fut la cible d’expéditions militaires qui affaiblirent durablement son rôle intellectuel et le poids de l’ibadisme dans la région.
Nous nous proposons donc d’aborder une part essentielle et méconnue de l’histoire du Maghreb. Ce programme euro-maghrébin a pour vocation de mettre à jour de nouvelles sources et de nouveaux champs pour la recherche, d’engager une réflexion sur les formes d’islamisation et l’interaction entre les communautés ibadites et les réseaux marchands et savants du Maghreb médiéval. Dans le souci de consolider les fondements de notre étude et d’en faire un tremplin pour de futurs chantiers, nous mettrons en place des instruments inédits : catalogue descriptif des sources ibadites du Maghreb médiéval ; corpus des monnayages rustumides et kharijites ; monographie sur l’architecture religieuse mozabite ; mise au point sur les fouilles de Sédrata à partir des archives de M. Van Berchem.
Quatre axes thématiques se complètent : transformations structurelles et mémoire des origines ; redéploiement territorial et organisation de l’espace (à partir des cas d’Ouargla et du Mzâb) ; Réseaux savants et réseaux marchands, permettant une réflexion sur les interactions entre communautés (ibadites et autres) ; construction des savoirs entre modèles orientaux et ancrage maghrébin.

Coordination du projet

Cyrille AILLET (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE) – cyrilleaillet@yahoo.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CIHAM-UMR 5648 CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE

Aide de l'ANR 130 000 euros
Début et durée du projet scientifique : - 48 Mois

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