JCJC SIMI 7 - JCJC : Sciences de l'information, de la matière et de l'ingénierie : Chimie moléculaire, organique, de coordination, catalyse et chimie biologique

Spéciation de l’uranium dans des organismes vivants en milieu aquatique - Développements analytiques – ST MALO

L’uranium et ses cibles biologiques dans les organismes d’eau douce.

Mise au point d’un ensemble de méthodes analytiques non dénaturantes pour déterminer les complexes uranium-biomolécules intacts dans des organes cibles d’organismes aquatiques exposés à de l’uranium. <br />

Un défi analytique pour une question d’évaluation du risque écologique

La détermination de la distribution et de la spéciation chimique des substances chimiques s’accumulant dans les organismes vivants est essentielle pour connaître leur devenir, caractériser l’exposition et élucider leur toxicité. En effet, mieux expliciter le lien entre l’exposition d’un organisme à une substance et sa toxicité, permet de proposer in fine des marqueurs d’exposition et d’effets pour l’évaluation du risque écologique. L’uranium (U) est un radioélément dont les concentrations dans l’environnement peuvent être augmentées par les rejets des installations du cycle de combustible nucléaire. Une fois entré dans les organismes, l’U peut former de nombreux complexes chimiques avec les biomolécules (protéines, peptides, acides nucléiques), pouvant impliquer un changement de leurs fonctions. Certaines études ont montré que l’U peut perturber le métabolisme d'éléments essentiels (fer, calcium) et entraîner d’importants dysfonctionnements cellulaires. Ainsi l’objectif principal a été de déterminer la microdistribution et la nature des cibles biologiques de l’U dans différents organes cibles d’organismes aquatiques modèles (poisson, écrevisse) exposés à l’U, pour comprendre son devenir moléculaire dans ces organismes aquatiques, en corrélation avec ses effets toxiques. <br />Pour atteindre cet objectif, des développements analytiques de pointe sont nécessaires. Un des défis analytiques majeurs concerne la conservation des complexes chimiques U-biomolécule non-covalents et l’identification de ces molécules (spéciation). De plus, un effort particulier a été nécessaire pour explorer des niveaux d’accumulation en U très faibles (accumulation <50ng), issus d’exposition proches de celles de l’environnement, sur des organismes modèles, à l’échelle individuelle. Ces développements analytiques ont été effectués pour chacune des techniques de séparation chimique, de détection multiélémentaire et moléculaire, pour permettre l’identification des complexes U-biomolécule.

La démarche a consisté à exposer à l’U, au laboratoire, des organismes d’eau douce (écrevisse P. clarkii et poisson D. rerio), puis à étudier la spéciation de l’U dans des protéines provenant d’organes d’entrée (branchies) ou de stockage et de détoxication (reins ou hépatopancréas).
Plusieurs stratégies analytiques ont été mises en place afin d’étudier la distribution de l’U précipité dans les tissus (microscopie) et dissous dans le cytosol; la mesure de métaux tels le fer, cuivre, zinc, ou d’autres éléments tel le phosphore a systématiquement été réalisée. Le screening des protéines cytosoliques susceptibles de lier l’U a été effectué après séparation de ces dernières en fonction de plusieurs caractéristiques physicochimiques (PM (1), pI (2)). La chromatographie d’exclusion stérique couplée à la spectrométrie de masse atomique a été utilisée parallèlement au développement de deux méthodes en condition non dénaturante : la focalisation isoélectrique hors gel (OGE) (3), et l’électrophorèse sur gel 2D, suivies d’une détection par spectrométrie de masse i) élémentaire (directe ou après ablation laser) et ii) moléculaire après extraction du gel (4;5). A l’issue, la nature des cibles moléculaires a été identifiée par spectrométrie de masse moléculaire (ESI-MS).

(1) Poids moléculaire (g mol-1)
(2) Point isoélectrique ; pH pour lequel une molécule est électriquement neutre.
(3) Bucher, G., Frelon, S., Simon, O., Lobinski, R., Mounicou, S., 2014 (soumis à Analytical Bioanalytical Chemistry). Development of non-denaturing off-gel isoelectric focusing for the separation of uranium-protein complexes in biological samples. En révision
(4) Xu, M., Frelon, S., Simon, O., Lobinski, R., Mounicou, S., 2014. Non-Denaturating Isoelectric Focusing Gel Electrophoresis for Uranium-protein Complexes Quantitative Analysis with LA-ICP MS. Anal Bioanal Chem, 406: 1063-1072.

Les développements analytiques réalisés ont permis d’étudier la nature des protéines liant l’U, à l’échelle individuelle, dans les organes d’intérêt de deux organismes aquatiques. La cartographie de l’U (Figure 1) montre l’affinité particulière de l’U pour les protéines à caractère acide et/ou contenant du phosphore, du fer, du zinc et du cuivre (5;6). Des différences sur la nature des complexes de l’U ont pu être mises en évidence entre certaines modalités d’exposition (7). Enfin, les protéines candidates identifiées (~15 par organe étudié) et dont la fonctionnalité pourrait être perturbée par la présence d’U, participent à plusieurs fonctions biologiques majeures (respiration, structure cellulaire, homéostasie des ions et métaux et métabolisme des acides aminés et des sucres).

(5) Xu M, Frelon S, Simon O, Lobinski R, Mounicou S (2013). In Vivo Screening and Identification of Uranium Protein Targets in Procambarus clarkii by Non-Denaturing 2D Gel Electrophoresis. Soumis à Talanta
(6) Frelon, S., Mounicou, S., Lobinski, R., Gilbin, R., Simon, O. (2013). Subcellular fractionation and chemical speciation of uranium to elucidate its fate in gills and hepatopancreas of crayfish Procambarus clarkii. Chemosphere 91(4):481-490
(7) Bucher G, Simon O, Floriani M, Monicou S, Lobinski R, Frelon S. Different uranium distribution patterns in cytosolic protein pool of zebrafish gills after chronic and acute waterborne exposures Chemosphere, soumis 07-2013

Les développements analytiques réalisés sont majoritairement conformes aux objectifs initiaux avec une détection optimisée et une cartographie de l’U obtenue par différentes méthodes non dénaturantes. Cependant, des optimisations restent encore à effectuer pour augmenter le taux de recouvrement des méthodes séparatives, un effort analytique devra être fait sur l’identification des complexes U-biomolécules de bas poids moléculaire, majoritaires notamment dans les branchies et le rein de Danio rerio. Enfin, le développement pour la caractérisation devra être poursuivi.
Concernant les réponses obtenues en écotoxicologie, elles correspondent en majorité aux objectifs fixés : l’analyse a pu être réalisée à l’échelle individuelle à des niveaux d’exposition proches de ceux observés dans l’environnement. Cependant, l’étude n’a pas pu se faire de façon complète sur tous les organes préalablement déterminés et devra être poursuivie. De plus, la comparaison des cibles entre les différentes conditions d’exposition n’a pas pu être réalisée dans la plupart des cas et devra être finalisée pour aboutir à la cartographie des mécanismes d’internalisation de l’U en fonction des niveaux d’exposition.
Afin de pouvoir conclure plus précisément sur les cibles déterminées dans chaque modèle, des études in vitro des constantes de complexation entre l’U et les différentes cibles protéiques identifiées devront être effectuées. Enfin, la fonctionnalité de ces cibles liant l’U serait à étudier pour déterminer les dysfonctionnements potentiels issus de cette complexation.
La collaboration de l’IRSN et du CNRS continue sur cette thématique au-delà du projet, par le démarrage d’une thèse co-encadrée en 2014.

La valorisation scientifique de ce projet n’est pas totalement achevée. Cependant il a dès à présent donné lieu à 5 publications (2 acceptées, 3 soumises) dans des revues à comité de lecture d’écotoxicologie ou de chimie analytique, disciplines principales du projet. De plus, différents développements ou résultats ont fait l’objet de présentations orales ou par affiche dans plusieurs congrès internationaux d’intérêt dans les disciplines citées ci-dessus e.g. la SETAC (écotoxicologie, 3 en 2012-2013-2014), Metallomics (interaction protéines-métal, 2 en 2013), Winter Conference (chimie analytique, 1 en 2013), …. ou des séminaires de toxicologie nationaux au Muséum National d’Histoire Naturelle.

Il est admis depuis une trentaine d’année que ni la concentration totale d’un métal en solution ni sa concentration dissoute ne sont de bons indicateurs de sa biodisponibilité ni de sa toxicité. Parallèlement, l’information sur la spéciation d’un élément est apparue comme fondamentale pour la compréhension des interactions de cet élément avec les biomolécules rencontrées in vivo lors de son transport, son incorporation et sa fixation dans un tissu biologique. Ainsi la caractérisation des biomolécules impliquées dans les processus métaboliques ou interagissant avec un élément est un point clé pour élucider la toxicité de cet élément. Cependant, de la séparation/purification des complexes des métaux avec les biomolécules jusqu’à leur identification, la préservation de leur stabilité représente un réel défi. Cette difficulté majeure de caractérisation des complexes des métaux avec les biomolécules conduit aux développements de nouvelles méthodologies analytiques.
Ce projet propose de développer des méthodologies analytiques permettant la caractérisation des complexes intacts uranium-biomolécules dans des matrices biologiques environnementales provenant d’organismes aquatiques. Ceci après exposition des organismes, prélèvement des organes d'intérêt et analyse de la microdistribution de l'uranium dans les différentes fractions .
Ces nouvelles méthodologies permettront :
(i)un criblage des complexes de l’uranium avec les protéines grâce au développement d’une technique d’imagerie de l’uranium par Ablation Laser - ICP MS dans les taches protéiques de gels d’électrophorèse 2D natif. Pour ce faire, des protocoles de séparation par électrophrorèse sur gel 2D non dénaturant devront être optimisés. Une approche quantitative sera également développée en mettant en place un protocole d’analyse par dilution isotopique non spécifique.
(ii)la caractérisation des complexes intacts de l’uranium avec les protéines. En utilisant la complémentarité de la spectrométrie de masse atomique (ICP MS) et moléculaire (ESI FT MS/MS, ), une approche dite « Top-down » sera développée et inclura une séparation non dénaturante des complexes intacts uranium-protéine au moyen de l’électrophorèse sur gel préparative ou de la chromatographie multidimensionnelle (cela sera fonction de la masse moléculaire des complexes uranium-protéine) et l’identification des fragments des complexes uranium-protéine par spectrométrie de masse haute résolution (FT MS (orbitrap)).
(iii)la caractérisation des complexes de l’uranium avec les métabolites. La méthodologie analytique développée reposera sur la combinaison de plusieurs mécanismes chromatographiques non dénaturants pour la séparation des complexes intacts uranium-métabolites et de la spectrométrie de masse haute résolution (FT MS) pour leur identification.
L’ensemble de ces développements en complément de la réalisation d’une étude de métallomique permettra d’étudier la spéciation de l’uranium dans des organismes vivants aquatiques tels que des bivalves (Corbicula fluminea), des écrevisses (Orconectes limousus) ou des poissons (Danio rerio) souvent utilisés comme bioindicateurs de pollutions inorganiques. Cette caractérisation in vivo des biomolécules cibles (protéines, métabolites) de l’uranium sera réalisée au niveau basal (bruit de fond géologique) et après différents niveaux d’exposition (environnemental, incidentel) de ces organismes aquatiques. Ces résultats devraient nous permettre d’approfondir les mécanismes par lesquels l’uranium est détecté, stocké et incorporé dans ces organismes vivants en milieu aquatique. De plus, comme certains paramètres de toxicité ont préalablement été déterminés aux expositions choisies, les corrélations possibles entre les espèces de l’uranium et les fractions toxiques seront étudiées. Ce travail pourrait in fine offrir d'intéressantes perspectives pour l'évaluation du risque associé à une exposition à l'uranium (implémentation des modèles existants pour l’uranium).



Coordination du projet

Sandrine FRELON (Institut de radioprotection et de sureté nucléaire - IRSN) – sandrine.frelon@irsn.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

LRE Institut de radioprotection et de sureté nucléaire - IRSN

Aide de l'ANR 200 000 euros
Début et durée du projet scientifique : - 36 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter