Les résistants du net. Critique et évasion face à la coercition numérique en Russie – RESISTIC
Les résistant du net. Critique et évasion face à la coercition numérique en Russie
La Russie constitue un espace de tension entre les libertés numériques globalisées et les politiques d’encadrement national d’Internet officiellement justifiées par des motifs de sécurité sur les réseaux numériques. Le projet a pour objet d’analyser les résistances et les adaptations des acteurs du web russes aux nouvelles régulations nationales imposées depuis le début des années 2010 au nom de la «souveraineté« du runet.
Les résistances aux emprises sur le web russe
Le projet ResisTIC «Les résistants du net. Critique et évasion face à la coercition numérique en Russie« contribue au développement des savoirs sur les capacités d’innovation, d’intégration et d’adaptation des sociétés face au numérique. A partir du cas russe, la recherche porte sur l'élaboration de nouvelles coercitions en ligne et sur leurs contournements par les citoyens. Elle permet de documenter les nouvelles politiques de régulation de l’internet russe, concernant la maîtrise des données individuelles et des outils de surveillance ainsi que les pratiques de censure et de blocage des contenus en ligne. Le cas russe constitue un remarquable laboratoire des nouvelles frontières et contraintes qui s'élaborent dans le monde du net, au nom de la restauration de la souveraineté en ligne. Face à ces emprises nouvelles, le projet étudie les répertoires de résistances de nombreux acteurs du numérique (hackers, providers, designers, informaticiens) ou de l'espace public (éditeurs, libraires, journalistes, entrepreneurs urbains …). Il porte à la fois sur les pratiques développées en Russie et hors de ses frontières, par les militants et professionnels du web en exil. Il permet d'analyser la diversité des pratiques de résistance et de contournement des emprises numériques, mettant en jeu à la fois les personnes et les dispositifs techniques. Les résultats du projet font l’objet de publications et communications scientifiques au niveau national et international ainsi que d’une dissémination et d’une valorisation à destination de la société civile et du grand public.
Les années 2018 et 2019 ont été marquée par des évolutions rapides en Russie dans le domaine numérique (loi d'encadrement du fonctionnement des vpn en 2017, tentative de blocage de Telegram au printemps 2018, adoption d'une loi sur la «souverainisation« du runet en 2019). Le projet Resistic permet de documenter et d'analyser en temps réel ces évolutions importantes et déterminantes pour les transformations des pratiques numériques en Russie même et, au-delà, dans de nombreux pays qui expérimentent des transformations similaires. L'actualité du projet en fait la richesse mais aussi parfois la difficulté, obligeant l'équipe à s'ajuster aux rapides évolutions en cours.
Les années 2018 et 2019 ont été consacrées majoritairement à la collecte de données sociologiques qualitatives sur le terrain. Des missions ont été organisées en Russie, en Biélorussie, en République Tchèque et en Allemagne. Environ quatre-vingt entretiens ont été collectés ainsi que de nombreuses observations des pratiques numériques résistantes. Les enquêtes menées sur le terrain ont permis d’identifier les acteurs des contournements et résistances en ligne, de construire un réseau de partenaires et d’approfondir les connaissances disponibles sur leurs pratiques. Les données ainsi récoltées constituent le matériau exclusif et original du projet. Un travail collectif d’analyse et de traitement des données recueillies a été engagé en articulation avec un enrichissement des cadres analytiques pour les traiter.
A partir de novembre 2018, un se´minaire bi-mensuel «Critique et contournement des frontières numériques« a e´te´ organise´ a` l'EHESS. Lors des 10 se´ances du se´minaire qui s’est de´roule´ entre novembre 2018 et mai 2019, des chercheurs franc¸ais et e´trangers ont e´te´ invite´s a` pre´senter leurs recherches lie´es aux the´matiques du projet. Le se´minaire, ouvert aux chercheurs ainsi qu’aux e´tudiants de master et de doctorat, a e´te´ inscrit dans le programme de formation de l’EHESS et valide´ par les e´tudiants qui le souhaitaient. Le 21 juin 2019, une journe´e d’e´tude a e´te´ organise´e a` l’EHESS. Elle a permis d’inviter a` Paris des colle`gues et des acteurs des re´sistances en ligne venus de Russie et d’Ukraine.
Le travail conjoint sur le cadrage théorique et le traitement des données empiriques a permis la préparation des premières communications et des articles sur les thématiques du projet. Les premières communications scientifiques ont été proposées à partir de décembre 2018 (Conférence sur l'innovation à Mines Paris Tech), mai 2019 (participation au Congrès Marsouin à Rennes), juillet 2019 (participation au congrès de l'AFSP à Bordeaux et au congrès de l'IAMCR à Madrid). Une dissémination des résultats en direction de la société civile et du grand public est aussi en cours, comme en témoigne un premier article collectif paru dans The Conversation en mars 2019.
Les années 2019 et 2020 seront caractérisées par la mise en oeuvre de nouvelles règles d'encadrement de l'internet russe; La loi sur «la souverainisation du runet« entrera ainsi en vigueur en novembre 2019. L'équipe du projet effectuera des missions d'enquête sur le terrain à partir de cette date pour étudier la mise en oeuvre de ces nouvelles régulations et l'invention de nouvelles pratiques de contournement pour y échapper.
Le séminaire bi-mensuel «Critique et contournement des frontières numériques« à l’EHESS sera reconduit de novembre 2019 à juin 2020. Les missions de collecte des données seront complétées sur le terrain par de nouvelles expéditions dans l’espace russe et post-soviétique ainsi qu’en Europe centrale et orientale. Pour communiquer les résultats obtenus, les chercheurs du projet ont prévu de participer à des conférences et des congrès internationaux (ASEEES à San Francisco en novembre 2019, ICCEES à Montréal en août 2020). Une nouvelle journée d’étude sera organisée dans le cadre du projet en 2020.
Un effort particulier sera fourni dans le domaine de la diffusion des résultats et de leur valorisation. Un calendrier de publications est prévu, permettant la préparation de numéros collectifs de revues à comité de lecture. Une attention soutenue sera accordée à la conception et au développement du site internet du projet pour mettre ses résultats scientifiques à la disposition du grand public. La préparation de l’ouvrage final issu du projet sera engagée au cours de cette deuxième période.
Les résultats du projet ont fait l'objet de premières communications scientifiques au niveau national et international. Parmi les communications les plus importantes, il convient de signaler :
- Benjamin Loveluck. Organisation de session thématique «Politiques du hacking. Enquête sur les ruses numériques«, Congrès de l’AFSP (Association Française de Science Politique), Bordeaux, 2-4 juillet 2019
avec : Françoise Daucé. « Les explorations numériques des journalistes russes face aux épreuves politiques » / Ksenia Ermoshina, Francesca Musiani. « Ingénieurs face à la gouvernance : ruses et résistances des fournisseurs d’accès Internet en Russie »
- Organisation d'un panel, IAMCR Conference, Madrid, 8 Juillet 2019
Avec : Françoise Daucé (EHESS) et Benjamin Loveluck (Télécom ParisTech). Codes of conduct in the Russian search industry: the case of Yandex / Ksenia Ermoshina et Francesca Musiani (Center for Internet and Society, CNRS). The Telegram ban: how censorship “made in Russia” faces a global Internet / Olga Bronnikova (Université Grenoble Alpes) et Bella Ostromooukhova (Sorbonne Université). Negotiating the moral et territorial boundaries of the Russian public space.
- Organisation de 2 panels au Congrès ASEEES de San Francisco, 23-26.11.2019 :
- (Re)shaping Russian digital space from abroad: State and Non-State web and public space professionals in Post-Soviet and EU countries
- Thinking Piracy on the Runet : between culture, law and politics
Les premiers articles issus du projet paraîtront en 2020.
La Russie constitue un espace de haute tension entre les libertés numériques globalisées et les politiques d’encadrement national d’Internet officiellement justifiées par des motifs de sécurité sur les réseaux numériques. Depuis le début des années 2000, le pays connaît en effet le développement conjoint d’un web non filtré et le renforcement d’un autoritarisme défavorable aux libertés publiques. Outre l'évolution intérieure, l'Etat russe est souvent accusé de piratage à l'encontre des organisations internationales, d'orchestrer des cyber-attaques contre les gouvernements et de perturber les processus électoraux dans les pays étrangers. En 2018, année d'élections présidentielles en Russie, ces tensions sont susceptibles de se durcir plus encore. Dans ce contexte, le présent projet a pour objet d’analyser les résistances et les adaptations des internautes russes aux nouvelles régulations nationales du web. La Russie apparaît en effet comme un "laboratoire des résistances numériques" susceptibles de se diffuser au delà de ses frontières. Au regard des travaux existant, ce projet innovera par une enquête inédite sur les résistances en ligne en Russie qui permettra de mettre au jour des pratiques sociales et des techniques de contournement des contraintes numériques peu connues. Il a l’ambition de contribuer, au-delà du cas russe, aux réflexions sur les reconfigurations du politique à l’épreuve des techniques de la communication dans le monde contemporain.
Le projet est organisé autour de trois grandes thématiques complémentaires. La première est consacrée à l’étude des résistances et aux arts du contournement des professionnels du web (hackers, fournisseurs d’accès, ingénieurs, experts…) face aux nouvelles régulations juridiques et techniques de l’Internet sur le territoire russe. Il examinera les innovations techniques et les usages hétérodoxes du web permettant de contourner ou de lutter contre les contraintes institutionnelles. La deuxième analysera l’appropriation des outils de contournements, leur usage et leur promotion par les « professionnels de l’espace public » (journalistes, éditeurs, entrepreneurs du numérique). Il examinera comment ces acteurs s’emparent des dispositifs de contournement sur le web pour trouver des compromis originaux, permettant de résister à la contrainte tout en restant présents et actifs dans l’espace public. La troisième thématique portera sur les stratégies d’échappement par l’exil aux nouvelles coercitions en ligne. Elle portera sur les stratégies des professionnels du web (hackers) et de l’espace public (journalistes et éditeurs notamment) choisissant de quitter le pays pour développer des pratiques numériques depuis l’étranger ainsi que sur la migration des infrastructures du net (délocalisation des serveurs par exemple).
Le projet réunit une équipe pluridisciplinaire parfaitement ajustée aux objectifs poursuivis, alliant compétences dans l’étude des résistances et des mobilisations sociales, innovation dans le domaine de la sociologie des sciences et des techniques digitales et parfaite connaissance du terrain russe. Le projet débouchera sur des résultats académiques forts, diffusés dans des publications de niveau international (articles dans des revues indexées, ouvrage collectif en anglais) et à l’occasion de congrès et de colloques internationaux. En respectant les règles de sécurité et d'éthique inhérentes à ce type de projet, ses principaux résultats seront mis à la disposition du grand public sur un espace Internet ouvert (en français, anglais et russe). La recherche contribuera à une meilleure compréhension des résistances digitales dans un monde numérique où les inquiétudes sécuritaires et les politiques de contrôle nationales se renforcent au risque de la démocratie. Elle permettra de développer une expertise sur ces questions profitable aux institutions publiques et aux organisations de la société civile.
Coordinateur du projet
Madame Françoise DAUCE (Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
ISCC INSTITUT DES SCIENCES DE LA COMMUNICATION DU CNRS
Télécom ParisTech / i3 Telecom ParisTech, université Paris-Saclay
CIS-CNRS Centre Internet et Société
UGA-ILCEA4 Olga Bronnikova
CERCEC Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen
Eur'Orbem
Aide de l'ANR 411 517 euros
Début et durée du projet scientifique :
- 42 Mois